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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/344

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faillit ; mais il poursuivait toujours l’idéal qui avait éclairé les rêves de son adolescence. « J’ai perdu une vingtaine d’années, se disait-il ; à force de courage, j’arriverai à reprendre rang : il ne me faut qu’une bonne occasion. Pourquoi me manquerait-elle ? » Du reste il était passé maître en son art, et il n’avait guère plus rien à apprendre. Il obtint quelques commandes pour les monumens publics, ce qui le mit à même de vivre, tout en lui permettant de préparer des travaux plus sérieux.

Il était revenu à Paris depuis trois ans environ lorsque je fis sa connaissance. Il habitait deux petites chambres contiguës à un immense atelier morne, froid, ressemblant à un hangar. Deux selles chargées de statues ébauchées en terre glaise, quelques moulages d’après l’antique, deux divans revêtus de couvertures de Valence, quelques études crayonnées d’après Zurbaran et Ribeira meublaient seuls cette vaste pièce, à laquelle les murailles peintes en rouge donnaient un aspect sinistre. Richard était là tout le jour en vareuse, les pieds enveloppés de chaussons de lisière, travaillant sans repos ni relâche. Il me parut alors d’une humeur tranquille, doucement sauvage, fuyant le monde et uniquement préoccupé de son art. Un Homère, un.Shakspeare, un Théocrite fanés et cornés à presque toutes les pages indiquaient qu’il renouvelait sans cesse les mêmes lectures. Un dé, des ciseaux, quelques pelotons de fil oubliés sur les meubles prouvaient qu’il ne vivait pas seul, qu’une femme égayait parfois la solitude silencieuse de l’atelier.

Comme la plupart de ceux qui aiment le travail, Richard défendait sa porte avec soin, et afin de recevoir ses amis, sans perdre son temps, il restait chez lui un soir par semaine. On se réunissait dans l’atelier, au milieu duquel l’abat-jour d’une lampe décrivait un cercle lumineux ; l’hospitalité était fort simple : une tasse de thé en hiver, de la bière en été, et du tabac à discrétion. Quelques jeunes gens se mêlaient aux artistes et aux littérateurs qui ordinairement se rencontraient chez Richard. On causait beaucoup, on ne jouait jamais. Une femme extrêmement jeune recevait les invités. Selon les habitudes du monde artiste, on l’appelait Mme Piednoël ; elle se nommait Geneviève. C’était la douceur même, et Richard paraissait l’aimer beaucoup. Il avait auprès d’elle des attentions charmantes que rien ne démentait. Entre eux, il y avait au moins vingt ans de distance ; mais Richard aimait tant que nous comprenions qu’il fût aimé.

Geneviève nous accueillait tous par un bon sourire, roulait des cigarettes, et savait exactement comment chacun aimait le thé. Lorsqu’on disait des folies, elle riait volontiers, et se taisait lorsqu’on parlait de choses sérieuses. Elle était visiblement délicate et mièvre. Sa taille avait de l’élégance, mais ses épaules étaient