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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/346

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vouloir en disant : « Il ne sert à rien, c’est vrai ; mais il est bon garçon, et puis il est gai, il a toujours quelque facétie à raconter, et il fait rire Geneviève ! »

Geneviève en effet, je l’avais déjà remarqué, se plaisait avec Maurice ; la pauvre fille voyait en lui un type achevé d’élégance, il était à ses yeux ce qu’on appelait jadis un homme du monde. Un jour, parlant de lui, elle dit cette balourdise : « Il se met si bien ! » Quelquefois il lui faisait, en plaisantant, des observations sur sa toilette : les manches sont trop larges, le corsage n’est pas assez échancré ; elle se mettait à l’œuvre, et le jeudi suivant elle lui montrait avec un naïf orgueil qu’elle avait suivi ses conseils. Quand par hasard Maurice ne venait pas, elle était silencieuse pendant toute la soirée, et, sans qu’elle fut positivement triste, on sentait qu’elle s’agitait au dedans d’elle-même, et qu’à son insu peut-être elle levait plus rapidement les yeux vers la porte lorsqu’on l’ouvrait. À l’époque de sa fête, nous lui avions tous apporté des fleurs ; huit jours après, un bouquet fané s’inclinait encore dans un vase, sur la table : c’était celui de Maurice.

Un de nos amis donna un bal costumé pendant le carnaval ; nous y allâmes tous. Maurice était déguisé en Edgard de Ravenswood : toque de velours, plumet, rapière, grandes bottés, un vrai costume à la Ducis. Geneviève dansa trois ou quatre fois avec lui ; elle riait, elle sautait, elle n’était que joie. Assis à mes côtés, Richard la regardait. « Que je suis heureux, me dit-il, de la voir s’amuser ainsi ! Pauvre fille, elle n’a pas trop de plaisir chez moi ! » Quelques jours après, j’étais chez Richard : il travaillait. Geneviève cousait dans un coin ; nous parlions du bal. « Quand j’aurai fini ma statue, dit Richard à Geneviève, je te mènerai au spectacle’ ; où veux-tu aller ? » Elle répondit tout de suite, comme obéissant à une impulsion intérieure : « Oh ! tu me mèneras voir Lucie de Lammermoor à l’Opéra ! » Involontairement je tournai les yeux vers elle ; Geneviève surprit mon regard, rougit légèrement, et, reprenant son ouvrage, elle ajouta : « On dit que c’est si joli ! »

Il était évident que Geneviève était attirée vers Maurice : par une passion, par un caprice, par une sympathie irréfléchie, ou simplement par ce goût que les femmes, créatures d’incessante aspiration, ont invinciblement pour les êtres qu’elles croient supérieurs ? Je ne pouvais le démêler, et je me gardai bien de faire part de mes observations à Richard, qui vivait tranquille entre sa tendresse et son travail, ayant oublié ses chagrins passés, et n’en prévoyant sans doute aucun pour l’avenir. Quant à Maurice, il avait certainement remarqué l’espèce d’attrait qu’il exerçait sur Geneviève, et avec la certitude d’un homme sûr de son fait il l’entourait de soins réservés, qui, pour les indifférens, pouvaient n’être que de la politesse,