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atelier me parut plus morne encore que de coutume : tout était à sa place, nul changement n’y apparaissait, cependant il y avait quelque chose de sombre et d’abandonné qui me prit au cœur en entrant. Quant à Richard, il me reçut avec son affabilité ordinaire ; il était assez pâle, et sa voix avait des saccades nerveuses que je ne lui connaissais pas.

— Que faites-vous là ? lui demandai-je en regardant une maquette qu’il ébauchait, et que je n’avais pas encore vue dans son atelier.

— C’est une Ariane, répondit-il en se reculant et en inclinant la tête avec ce geste familier aux sculpteurs et aux peintres qui veulent voir leur œuvre sous un certain effet de lumière.

— Quel vieux sujet ! lui dis-je en riant.

— Oui, reprit-il ; malheureusement il est toujours neuf.

Je me couchai à moitié sur un divan ; Richard continuait à travailler, me tournant le dos, restant silencieux, sifflotant et laissant à chaque seconde tomber la conversation, que je ramassais de mon mieux.

— Comment va Mme Piednoël ? lui dis-je.

Je vis passer un imperceptible mouvement sur ses épaules ; j’entendis un son guttural étouffé sortir de ses lèvres, puis, sans se retourner, il me répondit d’un ton trop dégagé pour être sincère : — Mais je pense qu’elle va bien ; voilà longtemps que je ne l’ai vue. Tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas cela, vous ! Nous ne sommes plus ensemble ; elle s’ennuyait, elle est partie.

Je fis un bond jusqu’à lui, je lui pris la main. — Est-ce possible ? m’écriai-je.

— Eh bien ! oui, c’est possible, reprit-il d’un ton sec ; n’était-elle pas libre ? Nous n’avions pas de contrat ensemble ; elle ne m’a pas trompé, je n’ai pas à me plaindre : que trouvez-vous donc là de si extraordinaire ? Elle ne m’aimait plus, elle me l’a dit, voilà tout, c’est bien simple. Il n’y a pas de quoi tant vous étonner. Cela se voit tous les jours. Tous les jours on voit un brave garçon recueillir chez lui une pauvre fille qu’il aime, suer sang et eau pour elle, la respecter, l’adorer, et tous les jours on voit la femme l’abandonner pour un imbécile qui a des moustaches frisées et des boutons d’or à ses manchettes.

En prononçant ces derniers mots, sa voix s’était détendue ; l’émotion le gagnait et assouplissait, malgré lui, la première raideur de son orgueil blessé. J’avais repris ma place sur le canapé, et je ne parlais plus. Richard travaillait d’une façon agitée ; il modelait à tort et à travers, soufflant sourdement, comme si sa poitrine eût été écrasée par une oppression trop lourde. Longtemps nous gardâmes le silence ; tout à coup Richard le rompit par un juron terrible, et,