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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/478

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bles qui pourtant m’amuse beaucoup. Plusieurs points de mire ont été traversés par les boulets.

Au retour, je suis allé voir la bibliothèque d’Alger, ancien palais mauresque très beau et très original, projeté sur la mer. M. Berbrugger, le conservateur, veut bien m’en faire les honneurs avec une grande obligeance et un grand savoir. Vestiges romains, grecs et phéniciens très intéressans.

Depuis plusieurs jours, je remarque un très beau nègre au type éthiopien, noir comme du velours noir, vêtu toujours d’une manière recherchée et de bon goût. Cet Othello m’intriguait. Je pensais que c’était quelque cheikh ou quelque ambassadeur de Tombouctou. Il portait ce soir une veste et des culottes bleu foncé avec force passementeries, un gilet rouge à mille boutons d’or. La taille était serrée dans une magnifique ceinture amarante. Le burnous noir à floches rouges, relevé et drapé avec goût sur l’épaule, laissait paraître le burnous blanc de dessous comme doublure. La chachia rouge à gland bleu, tranchant sur un serre-tête blanc, faisait ressortir sa peau d’ébène. Il était en outre chaussé d’une paire de bottes à l’écuyère luisantes comme un miroir. Une canne blanche à la main, il fumait des cigarettes. Il me semblait que ce grand personnage fréquentait bien mauvaise compagnie, car ses interlocuteurs étaient des Biskris ou des Mozabites de piètre apparence. Je demandai son nom : c’était Yacoub, le garçon baigneur.

13 juin. — Après déjeuner, M. Sarlande veut m’emmener visiter la fameuse frégate la Gloire, qui est ici, et que nous n’avons pas eu le temps, toi et moi, d’aller voir dans la rade de Toulon : mais je suis forcé de refuser, ayant donné rendez-vous au lieutenant Chanteloup pour visiter l’habitation du général Yusuf.

Apprenant qu’il y avait là nombreuse compagnie, j’allais me retirer après avoir regardé le jardin, lorsqu’au détour d’une allée je me trouve en face du général. J’ai beau alléguer mon costume du matin, il me force d’entrer et de visiter tout. C’est une véritable habitation mauresque, arrangée par lui avec un grand goût. Mélange du style arabe avec l’italien très réussi. — Les jardins sont charmans, les écuries sont belles, les chevaux superbes. On monte au salon, qui était plein de monde, et on fait de la musique ; Mme Yusuf fait les honneurs très gracieusement. J’ai pu, pendant une heure, observer le général. Il était vêtu d’une veste noire à brandebourgs et d’un pantalon rouge (petite tenue de cavalerie africaine). C’est un petit homme, qui paraît de taille moyenne grâce à l’harmonie des proportions ; type italien, barbe et cheveux grisonnans, ce qui ne l’empêche pas de paraître encore très jeune. Ses manières sont élégantes, ses yeux vifs, le nez droit ; figure charmante, très ex-