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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/622

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parmi ses administrateurs militaires Sully et Richelieu, Louvois a été sans pareil dans la science qui doit fournir aux généraux leurs instrumens et leurs ressources, qui des points les plus divergens doit concentrer sous leur main les moyens d’agir sans trahir le secret des opérations, qui, à leur entrée en campagne, doit leur livrer l’adversaire, déjà dérouté par des mouvemens trompeurs de troupes et de convois. Grâce à l’activité de Louvois, à sa fermeté, à son exactitude, à son esprit d’invention et de réforme, les compagnies étaient toujours au complet, les armes et les chevaux en bon état, les soldats bien nourris et bien chaussés, les magasins nombreux et à portée des besoins, les places exactement ravitaillées, l’armée toujours prête, l’ennemi toujours sur le qui-vive et toujours surpris. Louvois était digne du flatteur reproche que lui adressait du fond de l’Alsace le maréchal de Luxembourg après l’investissement de Condé, en 1676 : « Au lieu de marcher à Condé comme à un duel assigné, et de mander au gouverneur qu’il se tînt sur ses gardes, vous avez donné des jalousies de tous côtés, fait atteler le canon pour marcher dans toutes les villes ; cela a été suivi d’une infinité de ruses entassées les unes sur les autres, et enfin les ennemis disent fort bien en ce pays que votre voyage en Flandre n’a pas été celui d’un homme d’honneur, et que vous n’y avez fait que des trahisons pour les surprendre. Ma consolation est que le roi n’a point paru dans tout cela, qu’il vous a laissé faire toutes vos menées, et que sa majesté en personne n’a voulu avoir part aux choses que quand il y a eu du péril à essuyer, et qu’elle a pu y acquérir de la gloire. »

Louvois se complaisait dans des trahisons moins permises. Il avait du goût pour l’emploi de la fraude et de la violence dans les affaires d’état. Le vol, le faux, l’assassinat, rien ne lui coûtait pour servir le roi et nuire à l’ennemi. Il n’avait même pas besoin de l’aiguillon, de la nécessité. Écoutez-le recommandant, en 1674, au comte d’Estrades de prendre mort ou vif le plénipotentiaire de l’empereur au congrès de Cologne, ce même baron de Lisola qui se permettait d’écrire avec tant de verve contre la politique de Louis XIV. « Il y a bien de l’apparence que M. de Lisola doit bientôt partir de Liège pour s’en retourner à Cologne. Comme ce serait un grand avantage de le pouvoir prendre, et que même il n’y aurait pas grand inconvénient de le tuer, pour peu que lui ou ceux qui seraient avec lui se défendissent, parce que c’est un homme fort impertinent dans ses discours, et qui emploie toute son industrie, dont il ne manque pas, contre les intérêts de la France, avec un acharnement terrible, vous ne sauriez croire combien vous feriez votre cour à sa majesté, si vous pouviez faire exécuter ce projet lorsqu’il s’en retournera. »