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Le laisser-aller n’était pas le seul défaut militaire de Luxembourg. Il en avait un autre, assez commun parmi les hommes de guerre de son espèce : l’échec d’un camarade lui était agréable ; il ne s’en cachait pas, il avouait humblement être en cela comme tout le monde, et cela lui pesait ; il ne demandait qu’à être défendu contre ses mauvais sentimens par un commandement en chef qui le mît au-dessus de telles misères. C’est ce qu’il insinuait doucement à Louvois lorsque, simple gouverneur d’Utrecht en 1672, il représentait au ministre le danger de laisser les divers gouverneurs des places conquises en Hollande livrés sans chef à leurs rivalités et à leurs haines. « Peut-être, par la malignité de la pauvre nature humaine, remplie de faiblesse en bien des choses, serions-nous assez aises, tant que nous sommes ici, de bien faire de notre côté, et que nos camarades ne fussent pas si heureux du leur, et, par cette raison, on ne se donnerait pas les uns aux autres les assistances assez promptes, et on ne nous verrait pas tous concourir avec la diligence qu’il faut au plus grand bien du service du maître. Un moyen pour que nous ne tombions pas dans une pareille infamie, c’est de mettre ici quelqu’un au-dessus de nous qui soit chargé également du soin de toutes choses. » Louvois ne voulut pas comprendre ; il écrivit au gouverneur d’Utrecht qu’on ne lui donnerait pas de supérieur pour le présent, mais qu’on pourrait lui en donner un plus tard. La raillerie parut à Luxembourg du plus mauvais goût ; le fond de son cœur éclata. « Je vous l’ai dit autrefois, répondit-il, je ne suis point ne pour être camarade de certaines gens ni même de ceux qui croiraient avoir droit de me commander… Je n’ai pas assez de mérite pour me trouver avec eux au même poste, et quand je m’y verrai réduit, je supplierai le roi que je sois plutôt garde de chasse dans quelqu’une de ses plaines que confondu dans ses armées avec beaucoup d’autres. » Le désappointement devint bien plus cruel encore pour Luxembourg, lorsque le supérieur qu’il avait demandé lui fut donné. Ce fut Condé. Louvois ne fit rien pour panser la blessure. « M. le Prince, écrivit-il à son orgueilleux client, part pour aller commander au lieu où vous êtes ; je l’ai fort assuré que vous auriez grande peine à le reconnaître, et que vous craignez fort de ne pouvoir servir sous lui à cause de l’obscurité de ses commandemens. » Et plus tard : « M. le Prince étant présentement à Utrecht, c’est à lui que je dois écrire dorénavant, et ne plus avoir commerce avec un petit subalterne comme vous. »

Luxembourg fut forcé d’attendre encore deux ans ce commandement en chef qui devait exercer sur lui une si bonne influence morale. À la seule nouvelle de sa nomination, il eut en effet un touchant accès d’humilité. « J’apprends, monsieur, la grâce que le roi