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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/649

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l’orientale le prince et la princesse, fait signe à chacun de nous, — nous étions dix, — de s’asseoir sur les trois coussins qui composent tout le mobilier. Alors, le chapelet à la main pour se donner une contenance, il attend, assis sur son divan, que le prince parle le premier. Un esclave bronzé, en longue tunique blanche et la tête rasée, se tient derrière lui et chasse les mouches avec une longue écharpe de coton blanc. Il résulte de la conversation qu’il a les meilleures intentions du monde, mais que, placé entre l’enclume et le marteau, il a grand’peine à contenter les Espagnols, qui veulent de l’argent, et les Marocains, qui n’en veulent pas donner. On se sépare, et le prince africain salue la princesse Clotilde en étendant, en manière de bénédiction, les deux mains au-dessus d’elle.

Précédés des soldats marocains qui écartent la foule curieuse avec leurs grands bâtons, nous allons chez un marchand Israélite qui, après nous avoir montré et vendu des produits indigènes, tapis, vêtemens, babouches, armes, bracelets et autres bijoux, nous fait entrer chez lui. Nous sommes reçus par sa femme, grosse dame juive qui, comme celle de Tetuan, nous attendait sous les armes, c’est-à-dire en grande toilette : longue robe d’or, boucles d’oreilles tombant jusqu’à la ceinture, cheveux ou plutôt bandeaux de soie noire imitant les cheveux, — les Juives mariées doivent cacher leur chevelure. — Elle nous fait minutieusement les honneurs de sa maison. Le salon est meublé de chaises d’acajou, de commodes de noyer, de mauvais chandeliers de cuivre et de vases d’albâtre, avec deux lithographies de vingt-cinq sous. Sur une cheminée en marbre, sans foyer, sans conduit pour la fumée, posée là comme ornement, un immense globe de verre contenant une forêt de fleurs en papier où gazouillent des oiseaux mécaniques qui battent des ailes et cherchent à boire à un cylindre de verre livré à une rotation désordonnée. La bonne dame juive avait mystérieusement poussé le ressort du joujou et s’extasiait toute seule devant cette merveille.

À trois heures, nous passons devant Cadix, mais sans nous y arrêter. C’est à La Caraque que le yacht doit entrer dans le bassin de carénage pour les réparations de sa quille. Voici, pour le coup, une station qui n’a rien de charmant : une petite île sablonneuse, nue, aride, de longues files de magasins, une grande place couverte de poutres, de planches, d’éclats de bois, de poussière que le vent soulève en tourbillons : des carcasses de navires en construction, des bassins, — grandes cuvettes de pierre fort utiles, mais pas pittoresques du tout ; — des coups de marteaux, un tapage sans relâche. Nous avons peut-être huit jours à rester ici. Je vais faire le tour de notre domaine. D’un côté, il est fermé par une porte d’architecture espagnole conduisant au bac tiré par des galériens, de l’autre par