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Xérès m’ont rappelé les plaines de Lunel : pays vignoble, riche et bien cultivé ; pas d’autre verdure que celle des pampres ; plus loin, vers Séville, une forêt d’oliviers ; de grandes collines moissonnées pour la plupart et roussies déjà par la chaleur. De ce côté-là, on peut se croire dans certaines parties des plaines d’Afrique à cause des aloès, des cactus et des palmiers nains ; mais le lentisque est ici remplacé par le chêne kermès.

On ne se figure pas la ville des délices dans une contrée si peu riante ; mais la ville est intéressante. Les rues, étroites et pavées en petits cailloux, ont plus de physionomie que ce que j’ai pu voir de Cadix. La disposition intérieure des maisons rappelle le goût arabe. Deux portes principales : une, en bois plein, sur la rue, et presque toujours ouverte à cause de la chaleur, est séparée, par un couloir, de la porte grillée et ouvragée qui ferme la cour intérieure. Cette cour, c’est le cortile vénitien, la cour mauresque ou l’atrium romain ; elle est couverte en verre, souvent en verres coloriés. Cette partie, qui est comme le parloir commun à toute l’habitation, est charmante. J’en ai vu de très variées, avec ou sans galeries autour. Le pavé est en marbre, en mosaïque ou en terrazzo ; des tableaux sont suspendus aux murs ; d’élégans escaliers, toujours assez raides, conduisent aux appartemens, et font une décoration architecturale qui est souvent d’un grand goût. Des fleurs ornent cet intérieur vaste et cependant intime. Au milieu se dresse une statue ou un jet d’eau, une corbeille de fleurs ou une volière sur un piédestal de marbre ; parfois, quand l’habitation est modeste, ce n’est qu’une table couverte de livres et de journaux. Des fauteuils, des divans, des nattes, meublent cet atrium, toujours bien éclairé le soir et animé par la présence des hôtes. Au reste, tu as vu à Palma de Majorque les élémens de cette physionomie latino-orientale ; figure-toi cela grand, riche, propre et habité.

L’extérieur des habitations est très rajeuni ; pourtant on y voit encore les toits demi-plats prolongés en auvent sur la rue et couverts en tuiles courbes. Les miradores de l’extrême sud sont généralement remplacés ici par des balcons ouverts et ombragés de tendines de mille couleurs dont l’effet est réjouissant. La cathédrale est splendide dans ce pays de splendides cathédrales. La tour de la Giralda ressemble au campanile de Saint-Marc de Venise ; mais son corps rose et son couronnement jaune blond rendent son aspect plus gai que majestueux.

J’étais en train de grimper au sommet de cette tour sarrasine par sa spirale quadrangulaire formée de plans inclinés : j’avais oublié de prendre un âne pour m’y porter. J’allais donc lentement, et par les petites croisées je commençais à voir les quinze lieues d’ho-