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elle ; toutes les forces qui tourbillonnent dans l’univers se sont amollies sous le charme d’un attendrissement soudain. Elle monte portée par les ombres pâles de nos martyrs ; elle traverse l’azur et les voies lactées, elle passe au-delà des soleils, elle monte toujours plus haut et toujours plus blanchissante.

« Regardez-la, ô Seigneur ! La voilà maintenant agenouillée au pied de votre trône, au milieu des séraphins. Sur son front brille la couronne polonaise, et son manteau bleu balaie les espaces tissus de rayons. Les sphères se sont arrêtées et attendent. Elle prie à voix basse ; derrière elle pleurent les ombres ! de nos pères, et de ses deux mains elle lève deux calices…

« C’est votre propre sang, ô Seigneur, qu’elle vous présente ainsi dans le calice qu’elle tient haut dans sa main droite, et dans l’autre, qui est plus bas, — plus bas, — vous reconnaissez, ô Seigneur, le sang de ses sujets fidèles, le sang de ceux qui sont crucifiés sur mille croix, le sang qui coule sans cesse sous un triple glaive et sur trois terres qui ne sont qu’une patrie !… — Au nom du saint calice qui déborde d’amour, elle implore votre miséricorde pour l’autre qui est plus bas, — plus bas, — et elle prie pour nous, Père, Fils, Esprit !

« Elle prie pour nous, et nous prions avec elle, que vous daigniez nous accorder la grâce des grâces. Ce n’est pas l’espérance que nous vous demandons, ô Dieu ! elle tombe sur nous comme une pluie de fleurs, — ni la mort de nos oppresseurs, leur fin est écrite sur le nuage de demain ; — ce n’est pas de franchir le seuil de la mort : il est franchi, ô Seigneur ; — ce ne sont pas des armes puissantes : les tempêtes nous les apportent ; — ni des secours : le champ de l’action est ouvert devant nous aujourd’hui. Mais aujourd’hui que votre jugement a commencé dans les cieux sur les deux mille ans qu’a vécu la chrétientés accordez-nous, ô Seigneur, une volonté pure, accordez-nous une volonté mainte, Père, Fils, Esprit ! »


L’hymne de la bonne volonté fut le dernier des Psaumes du poète ; on peut dite même qu’il fut le dernier de ses chants. Une seule fois encore il éleva la voix dans cette petite composition de Resurrecturis, où il semblait vouloir résumer, comme dans un accord final, ses idées sur le sacrifice et les recommander à la nation ; puis il se tut. La nation se tut comme lui ; elle roula longtemps dans son esprit les pensées de l’Iridion, de l’Aurore et des Psaumes, et s’en imprégna ; elle entra dans une carrière de labeurs pénibles et obscurs qui lui seront peut-être comptés un jour, mais qui pour le moment ne firent qu’épaissir autour d’elle les ténèbres de l’oubli. De grands événemens passèrent sans changer en rien son sort ; la guerre de Crimée même ne la rappela pas sur la scène de l’action, et au milieu de tant de peuples qui faisaient retentir leur nom ou le recouvraient, elle resta longtemps ignorée, elle devint anonyme comme son poète. Pendant ce temps, l’auteur des Psaumes se mourait à l’étranger, et il n’y eut pas jusqu’à cette fin prématurée