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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/681

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au moment où la guerre a éclaté ? Le congrès a voté, comme tu sais, la somme fabuleuse de cinq cent millions de dollars pour lever l’armée tout aussi fabuleuse de cinq cent mille volontaires. On ne sauve pas une société avec des hâbleries déjà percées à jour. Quelle sera l’issue de cette lutte si mal entamée ? Ce que j’en sais, c’est ce que tu en sais toi-même : c’est ce qu’on peut prédire sans être sorcier politique. La guerre, par son essence même, va, si elle continue, tuer l’esclavage dans le sud et la liberté dans le nord, du moins la liberté individuelle, si chère aux unionistes. On n’est pas bon et vrai militaire sans faire un abandon complet de sa volonté, de même qu’on ne peut plus entretenir et commander des esclaves quand on est forcé d’en faire des soldats. Le soldat, en abandonnant sa volonté personnelle, a en lui du moins la volonté d’obéir, grande et belle chose qui conserve et souvent exalte sa qualité d’homme. L’esclave devra donc être élevé à la dignité d’homme le jour où on aura besoin de lui pour un autre travail que celui de bête de somme. Ceci me paraît inévitable, et pour le reste qui vivra verra.

Dîner fort modeste à la Maison-Dorée, cinq personnes, soixante francs par tête. Tout est ici dans cette proportion. Un dollar se dépense comme un franc chez nous : une coupe de cheveux, un dollar ; une course en voiture, un dollar. Il est vrai que les choses d’utilité directe sont à bas prix : l’omnibus, si longue que soit la course, trois sous.

Ce soir l’orage crève, et il pleut comme en Afrique.

30 juillet. — Je passe ma journée à flâner dans la ville et dans les magasins. Nous allons demain dans le sud, et il s’agit de se remonter en linge, en pantalons blancs, gilets et cravates blanches. En avant les dollars ! Je dépense deux cents francs, et j’en ai bien pour cinquante, tant la marchandise est mauvaise, trompeuse, collée au lieu d’être cousue. Ces magasins d’habillemens sont ce qu’on appelle chez nous des bazars : on y trouve de tout, des armes, des pincettes, des malles, des tentes, des casseroles, etc.

Philadelphie, 31 juillet.

Ce matin, le prince et la princesse quittent le yacht. La princesse, accompagnée de la duchesse d’Abrantès, du commandant Dubuisson faisant service d’aide-de-camp et de l’enseigne Brunet, officier d’ordonnance, va s’installer à l’hôtel New-York. Le prince, accompagné de ses aides-de-camp, les colonels Ferri et Ragon, du baron Mercier, du commandant Bonfils et de moi, part pour Washington à six heures du soir.

Du steamboat qui nous fait passer l’Hudson, nous prenons le chemin de fer. Ce train emmène un bataillon composé de zouaves, de