Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi les recueils de lettres qui, répondant à ces deux conditions, nous donnent un commentaire de la vie des peuples ou de la vie de la conscience, nous ne cachons pas nos préférences pour ces derniers. Les plus belles correspondances, les plus nobles journaux intimes qu’ait vu publier notre siècle, sont ceux qui nous font assister aux élévations de quelque grande âme. Il est doux de trouver l’homme meilleur que ne le montraient ses écrits. Lorsque Goethe, dans ses lettres à Schiller ou dans ses entretiens avec Éckermann, nous donne tant de preuves de cette chaleur de cœur, de cette sympathie primesautière et ardente que certains critiques s’obstinent encore à lui refuser, parce qu’elles s’associaient, chez ce puissant génie, à la pleine possession de soi-même ; lorsque les lettres intimes du grand théologien Schleiermacher nous font pénétrer plus avant dans cette âme si profonde et si subtilement complexe ; lorsque les confidences heureusement retrouvées de Maine de Biran nous révèlent un travail si noblement religieux, un sentiment si vif de l’invisible et du surnaturel chez ce sévère enfant du XVIIIe siècle, de telles conquêtes valent mieux assurément que la découverte d’un million de petits faits puérilement consignés par le marquis de Dangeau, l’abbé Le Dieu ou l’avocat Barbier.

Ces exemples, et d’autres encore, nous sont venus à la pensée pendant que nous parcourions maintes lettres de Sismondi, les unes inédites pour la plupart, précieux dépôt que conserve la bibliothèque du Musée-Fabre à Montpellier, les autres recueillies déjà par des mains pieuses et publiées à Genève il y a quatre ans, mais qui semblent avoir passé inaperçues[1]. En étudiant l’histoire de la comtesse d’Albany, nous avons eu occasion de faire quelques emprunts aux lettres inédites du Musée-Fabre, car c’est à la veuve de Charles-Edouard, à l’amie d’Alfieri, que ces lettres sont adressées, et c’est par M. Fabre que la ville de Montpellier les possède. Ces emprunts devaient être faits avec discrétion ; nous étions tenus de choisir ce qui se rapportait à notre histoire, sous peine de ralentir le récit et de substituer un sujet à un autre. Aujourd’hui nous n’avons plus à nous occuper de la comtesse d’Albany ; ce n’est plus la reine de Florence que nous cherchons dans les lettres de Sismondi, c’est Sismondi lui-même. Or ces curieuses pages, si on les joint à celles qui ont été imprimées à Genève en 1857, nous révèlent, ce semble, un Sismondi tout nouveau, ou du moins un Sismondi que les esprits pénétrans ont pu soupçonner çà et là dans ses œuvres, mais que certainement personne ne connaissait. Grave,

  1. J. C. L. de Sismondi. — Fragmens de son Journal et Correspondance, 1 vol in-8o, Genève 1857.