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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/714

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des inspecteurs, les assistés sont classés en deux catégories : les uns reçoivent des secours à domicile ; les autres, ceux qu’on suppose en état de travailler utilement, sont enfermés dans des maisons de travail (work-houses), où ils doivent gagner, par un labeur fatigant, la maigre pitance qu’on leur donne. Ces changemens, autant que la prospérité croissante de la communauté, ont réduit considérablement le nombre des pauvres et la charge imposée aux citoyens. Les trois royaumes britanniques distribuent chaque année 160 millions de francs entre 1,120,000 individus, dont 200,000 au moins sont des adultes valides : c’est une subvention d’environ 152 francs par tête. En somme, dans les conditions où la charité légale s’exerce, il n’y a guère de pauvre qui ne puisse être préservé des plus douloureuses privations.

Que fait-on en France pour le soulagement de la misère ? On a fait chez nous de l’indigence une sorte de privilège ; on n’est considéré comme misérable et admis aux secours publics qu’à la condition d’être inscrit sur les registres des bureaux de bienfaisance, et pour obtenir cette faveur il ne suffit pas, comme en Angleterre, d’affirmer qu’on est dans le besoin : il faut avoir au moins l’âge de soixante ans, ou être surchargé de famille, ou affligé d’une infirmité qui rend le travail impossible, Ceux qui remplissent ces tristes conditions sont inscrits comme tels au nombre de 1,330,000 ; mais la circonscription des bureaux de bienfaisance ne s’étend que sur 16 millions d’habitans, de sorte qu’en évaluant par analogie le nombre des indigens qui doivent se trouver dans les cantons où les moyens de secours n’existent pas, on peut supposer que la France entière renferme 3 millions de ces pauvres qui sont atteints d’une misère en quelque sorte incurable. Or la recette collective des bureaux de bienfaisance est inférieure à 18 millions de francs ; après déductions faites pour les frais d’administration et les placemens de réserve, la somme à partager fournit aux, individus qui ont le privilège de l’inscription un secours annuel d’environ 12 francs par tête en moyenne, 3 centimes 1/3 par jour[1]. Dans les localités où les inscriptions ne peuvent pas avoir lieu, puisqu’il n’y a pas de bureau de bienfaisance, c’est-à-dire dans plus de la moitié de la France, on ne distribue rien. Je sais bien que la bienfaisance officielle a pour auxiliaire chez nous la charité privée, qui est très active et très ingénieuse ; mais les établissemens charitables soutenus par des contributions volontaires ne sont pas moins multipliés en Angleterre : à Londres surtout, leur nombre et leur diversité sont des sujets d’étonnement pour l’étranger. On aurait tort de considérer

  1. Les chiffres consignes ici relativement au paupérisme ne sont qu’approximatifs : ils sont tirés pour l’Angleterre des documens officiels les plus récens, et pour la France des rapports de M. Watteville, qui remontent déjà à plusieurs années.