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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/826

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Cet espoir de l’assemblée constituante, exprimé par Thouret, se réalisera-t-il un jour ? Nous dirons bientôt comment doit être envisagée l’intervention du jury dans les affaires civiles. Pour le moment, il ne s’agit que de dégager avec clarté la pensée de cette assemblée, et par là de mettre un peu plus en relief qu’on ne l’a fait jusqu’à présent les bases de notre organisation judiciaire. Cette pensée s’accusa plus nettement encore à l’occasion de la nomination des juges qui devaient connaître des causes civiles. À qui revenait cette nomination ? N’était-ce pas au pouvoir exécutif ?

L’assemblée avait vu l’ancienne magistrature à l’œuvre : cette institution recelait un grand vice, la vénalité des charges ; mais elle offrait une bien précieuse garantie, l’indépendance du juge. Quoi qu’on dise, ce sera toujours à l’honneur des parlemens qu’on retracera l’histoire de ses luttes avec la royauté. Même à la distance où nous sommes, peut-on songer sans admiration à l’imposant spectacle qui fut donné sous la monarchie absolue par la magistrature refusant d’inscrire un édit arbitraire ou injuste sur les livres de la justice ? Les parlemens, a-t-on dit, n’avaient pas ce droit ; leur résistance cachait une véritable usurpation de pouvoirs. Cela est-il complètement exact ? La justice a toujours eu, elle aura toujours le droit de se refuser à l’application d’une mesure arbitraire, illégale, violente. Or enregistrer un édit arbitraire ou illégal, c’était l’admettre et prendre l’engagement d’en faire application dans les décisions de justice. Où donc la royauté elle-même prenait-elle le droit de blesser le droit ? Dans un abus, dans une confusion de pouvoirs qui heurtait l’ensemble des règles qui constituaient le droit public. Aujourd’hui les tribunaux refuseraient d’appliquer une ordonnance, un décret qui seraient contraires à la constitution, au droit naturel. Ils revendiqueraient leurs prérogatives, si le gouvernement essayait de leur dérober la connaissance des affaires qui sont de leur domaine. Pour n’être point alors déposés dans une constitution, les lois d’ordre public, les règles du droit naturel n’en existaient pas moins. Dans cette mesure, on peut donc répondre qu’en s’élevant contre les actes de despotisme, les parlemens agissaient selon le droit de la justice. S’ils allèrent plus loin, s’ils se montrèrent tracassiers, hautains, passionnés, s’ils dépassèrent le but et empiétèrent sur le véritable domaine de l’état en l’absence de règles précises, d’une constitution, de lois organiques, somme toute, il ne faut pas se hâter de les condamner : ils avaient senti que le pouvoir absolu n’était pas sans bornes, que la justice, sous tous les régimes, avait aussi ses droits imprescriptibles, et ils eurent le, courage de les faire respecter.

L’assemblée constituante détruisit la toute-puissance de ces vaillantes