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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/854

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soutenir une argumentation sur un texte donné trois jours à l’avance et discuter le point de droit qui lui était indiqué à livre ouvert. Si l’examen avait été satisfaisant, un sac de procès lui était remis, et il devait en faire le rapport. Ce n’était pas trop exiger, disait un ancien magistrat, de celui à qui sont confiés la vie, l’honneur, la fortune des citoyens. Aujourd’hui le licencié qui descend des bancs de l’école peut à la rigueur monter sur le siège du juge ; mais, magistrat prématuré, il n’acquerra l’expérience qu’en faisant des victimes. Les magistrats ne sont pas les derniers à solliciter des réformes à cet égard. M. le conseiller de Bastard n’est pas moins pressant que M. Raymond Bordeaux : « Si, à défaut d’avantages pécuniaires que la constitution de la magistrature française ne permettra jamais de lui offrir, on ne lui rend pas une position conservatrice de sa dignité et appropriée à nos mœurs et à nos lois, la magistrature, frappée à mort, ne sera plus pour ceux qui s’y seront engagés que la plus triste des conditions. Abandonnée par les fils de famille, que l’on n’aura pas su y faire entrer de bonne heure, délaissée par les intelligences d’élite qui, dans une organisation plus féconde, seraient fières de lui appartenir, désertée pour les fonctions plus brillantes et mieux rétribuées de l’administration, dédaignée pour les professions libérales, la magistrature qui occupa jadis une si grande place dans l’histoire de notre pays et qui était l’objet du respect de l’Europe entière, déchue de son antique noblesse et de sa dignité morale, n’aura plus désormais, dans la société française qu’une position inférieure et subordonnée. » Ainsi s’exprime l’honorable magistrat, qui se prononce pour le noviciat judiciaire, et y verrait la source de grands bienfaits pour l’avenir. Quoi qu’il en soit des réformes proposées, on doit dire que le gouvernement de 1830 regretta les juges-auditeurs, et que dans les dernières années du règne du roi Louis-Philippe il fut question de revenir à une institution équivalente. Nul ne le sait mieux que l’homme distingué qui est aujourd’hui à la tête de l’ordre judiciaire en France, et qui a trop compté personnellement dans la magistrature pour ne pas être touché des améliorations dont cet ordre peut être l’objet.

Quant au traitement de la magistrature, il est toujours un sujet d’étonnement pour l’étranger qui visite nos tribunaux et observe avec attention notre système judiciaire. Comment croire que ces belles et imposantes fonctions assurent à peine à celui qui en est revêtu le bien-être le plus vulgaire ? Quoi ! 3,000 francs au magistrat qui est arrivé à la moitié de l’existence ! 17,000 francs à celui qui a le rare bonheur de toucher au pinacle et de trouver à la cour suprême un siège aussi envié que les fauteuils académiques ! Comment peut subsister le premier avec sa famille ? Par quels efforts est