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dans la capitale une garnison de deux cents hommes, et retourna à Lobeid. Après avoir payé son impôt durant une année, Nacer jeta le masque, fit massacrer la garnison et attendit l’armée égyptienne, qui ne tarda pas à se montrer. Dans une entrevue qui eut lieu entre lui et le général turc, il ne déguisa pas son mépris pour ses ennemis. « Vous ne voyez donc pas, leur dit-il, que je vous aurai, vous et vos officiers, pieds et poings liés quand je le voudrai ! Je n’ai pour cela qu’à offrir à vos soldats de la merissa[1] et des négresses à discrétion, et ils sont à moi ! » Une autre cause amena cependant le triomphe de Nacer : de nombreux déserteurs lui apportèrent deux choses fort utiles, la discipline et les armes à feu. Un seul colonel faillit venir à bout de lui ; c’était un nègre nommé Hussein-Bey, brave et inconsidéré. Il tomba, après plusieurs victoires, dans un piège grossier tendu par Nacer, et y périt avec la meilleure partie de ses troupes : désastre qui termina la guerre.

La férocité de Nacer était proverbiale, et il en tirait lui-même une étrange vanité. Un jour qu’il rentrait à son quartier, il entendit une panthère rugir. « Comment, dit-il, il y a dans le royaume de Nacer une panthère qui crie la faim ? Mais c’est une honte pour Nacer ! » Et, désignant au hasard un de ses hommes, il le fit jeter en pâture à la bête affamée.

Le gouvernement du vice-roi n’était pas seul coupable dans ce système de razzias et de chasses inhumaines. Ses principaux complices étaient la grande tribu des Baggara, le long du Nil-Blanc, cinquante lieues au-dessus de Khartoum, et Edris Adlan, chef de Goulé. Celui-ci était en réalité le dernier prince des Fougn, car l’héritier légitime des sultans de Sennaar, le fils de Badé VII, végétait dans sa capitale presque déserte avec une autorité dérisoire qu’il vient même de perdre par suite d’un scandale fort rare en pays quelque peu civilisé : il a rendu mère sa propre sœur, et le gouvernement, ravi de compromettre le dernier représentant d’une dynastie vaincue, le retient en prison sans statuer sur son sort. Edris Adlan, qui représente une sorte de branche cadette, commande dans la montagne de Goulé, à plusieurs journées dans l’ouest, refuge actuel du noyau le plus pur des Fougn, et, pour grossir son budget aléatoire, il a quelquefois vendu à Khartoum des fournées d’anciens sujets de sa race, les Hamadj, qui s’étendent indéfiniment au sud.

Les Baggara sont des pourvoyeurs plus actifs. C’est un peuple d’origine arabe, puissant, brave, montant indifféremment des chevaux de race ou des bœufs d’une espèce particulière, parfaitement

  1. Bière faite de dourrah fermenté.