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ornemens : ils relevaient leurs cheveux au moyen d’épingles en os, passaient des bagues à leurs doigts, ornaient leurs poignets de lourds bracelets, chargeaient leurs épaules de colliers formés de boules en bois de cerf entremêlées de grains de pierre ; sur leur poitrine, ils portaient des dents d’ours qui sans doute devaient leur donner la force de la bête fauve et les garantir contre le mauvais sort. Les grands disques de pierre qu’on retrouve au fond des lacs leur servaient de palettes pour jouer après le dur travail de la journée. Quant aux noisettes percées, maintenant éparses dans la vase, c’étaient sans doute les hochets que les mères secouaient, avec un bruit de grelots, pour réjouir leurs petits nourrissons.

D’autres découvertes sont venues prouver que l’agriculture était assez avancée chez les populations lacustres de ce premier âge, et l’on doit en conséquence leur assigner un rang beaucoup plus élevé qu’on ne l’avait fait d’abord. Certainement la chasse et la pêche devaient subvenir pour la plus grande part à leur alimentation, ainsi que l’attestent la position même de leurs demeures au milieu des eaux et les ossemens en partie rongés de l’urus, du bison, du cerf, de l’élan, du chevreuil, du chamois et des oiseaux sauvages, qu’on a trouvés dans les couches de tourbe ou de vase des anciens villages. La cueillette leur fournissait en outre quelques provisions, puisqu’on a trouvé parmi les débris de cuisine des pommes de pin, des faînes, des noisettes, des graines de framboise ; mais ils élevaient aussi des troupeaux de bœufs, de moutons, de chèvres, de porcs, et savaient se faire remplacer par le chien pour la garde des animaux domestiques ; ils fabriquaient une espèce de fromage dans des vases percés de trous, ils cultivaient les arbres fruitiers, tels que le pommier, le poirier, le prunier, et amassaient pour l’hiver des provisions de fruits. Ils semaient aussi l’orge et diverses espèces de froment d’excellente qualité. Parmi les débris d’un village lacustre du lac de Constance, M. Löhle a découvert un ancien magasin contenant environ cent mesures d’orge et de froment en grains et en épis. Il a trouvé aussi un véritable pain conservé par la carbonisation et consistant en grains broyés auxquels le son adhérait encore. Ainsi, à l’exception des œufs et de la volaille, l’alimentation des habitans primitifs de l’Helvétie ressemblait tout à fait à la nôtre.

La possession des céréales, ces humbles plantes qui sont la conquête la plus importante de l’humanité, suffirait à elle seule pour prouver que les peuplades sans nom de l’âge de la pierre avaient déjà de longs siècles de progrès à raconter. L’exploration attentive des bourgades lacustres montre que leurs habitans pratiquaient aussi sur une très large échelle ce que nous appelons la division