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flanc, passé en bandoulière comme un sabre, un enfant ficelé comme un saucisson sur une planchette à dossier. Elle pose tout debout contre le piano ce berceau orné de perles et de colifichets où le papous, serré et maintenu dans ses bandelettes, montre sa petite tête jaune, qu’éclairent deux petits yeux noirs déjà perçans comme des flèches.

Le steamboat s’arrête à Portage pour faire un chargement de cuivre. Je descends me promener sans perdre de vue le bateau à vapeur, ne me souciant guère de prendre racine ici. Il y fait trop froid, et l’aspect de la ville manque de séduction : quelques maisons de bois peintes en jaune sur une petite place où les rochers de quartz et de calcaire noir percent le terrain également jaune. Les eaux du fiord sont colorées aussi en jaune par le cuivre, véritable ossature de cette partie du Lac-Supérieur. Le rivage escarpé, couvert de mélèzes et de pins, rend le pays sombre et triste. Je cherche des fleurs et des insectes, je ne trouve que des verges d’or et un papillon (la coliade Cæsonia) qui, pour changer, est jaune. La localité semble vouée à cette couleur.

Aujourd’hui dimanche, nos compagnes de voyage ont passé la journée à lire la Bible. Aucune n’a travaillé à quoi que ce soit et n’a même posé le pied hors du bateau. Ce soir, on ne danse pas, bien entendu. Hommes et femmes sont réunis autour du piano et chantent des psaumes, après quoi des groupes se forment, on relit la Bible, on la commente tout bas, ou l’on chuchote dans les petits coins, mais en tout bien tout honneur. L’Américain est si respectueux avec le beau sexe qu’on le croirait timide ou glacé. En revanche, les jeunes filles dévisagent le sexe laid à pleins yeux, et ceci ne prouve pas toujours effronterie ou passion. Ce sont des airs de souveraines vis-à-vis de leurs sujets. Elles trouvent nos yeux d’Europe un peu hardis, mais les leurs ne se baissent jamais. On dit qu’en amour elles font toutes les avances, et on le dit en proclamant que c’est leur droit. C’est à elles d’employer la liberté dont elles jouissent à faire la conquête d’un mari. C’est à l’homme qui ne peut ou ne veut pas épouser de se tenir sur ses gardes. Ces mœurs ne sont pas exclusivement celles des États-Unis, car je les ai vues chez nos protestans languedociens. Ici comme là, c’est la même hardiesse confiante de la part des jeunes filles et la même réserve prudente chez les garçons. Les mœurs protestantes valent donc mieux que les mœurs catholiques, il faut le reconnaître. Quand un homme se décide à se laisser faire la cour, il ne peut sans déshonneur se retirer, et la jeune fille qui risque le tout pour le tout est bien rarement abandonnée ; mais, comme il faut voir les deux faces de la question, il me semble que l’amour est un peu mis de côté en cette affaire du mariage. L’homme y court tant de risques qu’il