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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/99

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milieu même de ces désordres qui tiennent à notre liberté mal conduite, l’action perpétuellement présente d’un Dieu juste et bon,… absolvitque Deum. Une telle prédication est digne de remarque chez un homme qui, pendant bien des années, avait refusé d’admettre cette forme de la vie divine, et qui, en 1826, à la suite d’une conversation avec une Anglaise, écrivait dans son journal : « Les idées religieuses de cette dame, se rapportant à une intervention continuelle de la Providence et à l’étude de la foi plutôt que de la conduite, sont de la nature qui s’accorde le moins avec les miennes. » Le stoïcien, depuis cette époque, avait trouvé dans le christianisme une foi plus consolante, et c’est ce christianisme qu’il prêchait avec ferveur aux âmes désespérées. « Autrefois, — lui écrit Mme Bianca Mojon (août 1834), — lorsque je vivais dans l’ordre d’idées dont je suis sortie grâce à vous, le désespoir m’était permis ; mais à présent que je reconnais une Providence, ce désespoir serait illogique et indigne du philosophe chrétien votre élève. Que de veilles, que d’amères et vaines angoisses m’ont coûtées les misères du genre humain ! Je ne puis me rappeler sans frémir les conclusions irréligieuses que j’en tirais alors ; maintenant je suis rassurée… » Sismondi était donc un maître qui formait des philosophes chrétiens, ramenant à Dieu et au fils de Dieu les âmes qu’éloignait le fanatisme.

Ce grave et doux maître était consulté souvent sur les choses les plus intimes de l’âme. À lire ses écrits, si moraux sans doute, mais si rigides et quelquefois si raides, on ne se douterait pas que c’était une conscience pleine de délicatesses et de scrupules ; il était cependant attentif aux moindres nuances, jusqu’à goûter les laborieuses subtilités des casuistes. N’est-ce pas lui qui écrivait un jour : « Ceux qui croient que la moralité ne consiste qu’en quelques préceptes vite épuisés me semblent des observateurs bien superficiels. Plus au contraire on l’étudie, plus on voit le champ s’élargir. On peut s’en convaincre en lisant les milliers de livres écrits sur des cas de conscience dans l’église catholique. Le secret du confessionnal, la nécessité d’accorder enfin l’absolution et de maintenir le pouvoir sacerdotal, ont certainement fait dévier les casuistes et créer avec leur aide ce qu’on a appelé la morale jésuitique ; toutefois de grands progrès ont été faits par eux dans cette noble science, et nous leur devons peut-être plus qu’à la Bible elle-même l’établissement du système de moralité chrétienne. » Il fallait que Sismondi fût bien attaché à cette religieuse étude des cas de conscience pour adresser de telles paroles, — à qui ? personne ne le devinerait sans doute, — à l’ardent pasteur américain, à l’esprit le plus ferme, mais le plus simple, le plus large, le plus étranger aux finesses de l’analyse, l’illustre Channing. C’était donc, je