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fondes racines, et les nombreuses mutations que révèlent les recettes de notre enregistrement montrent qu’il y en a peu d’héréditaires.

On chercherait donc vainement dans les trois quarts de nos communes l’équivalent de M. Mason comme situation de fortune, et quand par hasard il y en a un, il a besoin de beaucoup de vertu pour y rester. M. Mason et ses pareils n’ont pas de maison à Londres; ils trouvent chez eux, avec leurs parens et leurs voisins, tous les agrémens de la vie, ceux du moins qu’on estime en Angleterre, où l’on n’a pas autant qu’en France le goût des spectacles et des réunions bruyantes. L’usage commande chez nous aux gens riches de passer l’hiver à Paris; les eaux, les bains de mer, les voyages prennent une grande partie de l’été, et il reste bien peu de temps et d’argent pour la campagne. Quant aux propriétaires de second et de troisième ordre, ils cherchent presque tous à se loger dans des fonctions publiques ou à exercer des professions libérales qui les éloignent de leurs domaines, et on ne saurait trop leur en faire un reproche, car ils en ont besoin.

Non-seulement la richesse manque, mais l’indépendance. En Angleterre, le plus riche propriétaire de la paroisse réunit dans ses mains tous les pouvoirs. Les familles secondaires se groupent autour de lui et recherchent son alliance; les terres sont occupées par des fermiers at will ou à volonté qui dépendent de lui ou des siens. En France, il arrive souvent que, sur deux familles plus aisées que les autres, l’une appartient à l’ancienne noblesse et l’autre à la bourgeoisie nouvelle : de là des divisions et des rivalités. Puis il faut compter avec le conseil municipal, élu par le suffrage universel, avec le maire, qui se montre jaloux de son autorité, avec le juge de paix, qui siège au chef-lieu de canton, avec le sous-préfet, qui administre au chef-lieu d’arrondissement, avec le préfet, qui règne au chef-lieu de département. Le curé et l’instituteur sont presque toujours en Angleterre à la nomination du seigneur du lieu; en France, ils relèvent tous deux d’autorités lointaines : d’un côté tout est réuni, de l’autre tout est divisé.

Malgré ces obstacles, il se fait chez nous beaucoup de bien, beaucoup plus que ne paraît le croire notre exilé, que les amertumes de sa position rendent un peu injuste. Le bien ne se fait pas exactement par les mêmes moyens; mais chaque nation a son génie. L’instruction primaire, par exemple, est donnée en vertu d’une loi, et ce qu’on perd en spontanéité se regagne par le caractère de généralité et de persévérance qui résulte d’une prescription légale. Il faut bien que ce système ait ses avantages, puisque le gouvernement anglais a voulu s’en inspirer : le parlement a voté depuis peu un fonds spécial pour les écoles populaires. En fait, nous sommes un peu en avance sur les Anglais pour l’instruction primaire, et nous le devons à la loi de 1833. Si sur beaucoup d’autres points nous sommes en arrière, il faut en chercher la cause principale dans les secousses politiques qui viennent de temps en temps tout remettre en question. L’Angleterre n’a pas eu dans son histoire une interruption de civilisation comme notre période révolutionnaire.

Quel est celui des deux peuples qui a le moins de pauvres? Question délicate que je ne prétends pas trancher ici. Je suis loin de m’associer aux vieilles déclamations qui courent sur le paupérisme anglais. Je crois que