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peuple, il accomplit sa tâche avec le même dévouement au bien général, le même oubli de ses intérêts et de sa personne ; il est si bien le représentant de la chose publique qu’au moment où le jeune souverain est emporté par la peste, l’acclamation universelle le fait roi, écartant sans hésiter les compétiteurs les plus puissans, l’empereur et le roi de France. La féodalité germanique essaie vainement de le rejeter de son sein ; ces fiers seigneurs s’inclinent bientôt devant la haute sagesse du parvenu, et, le prenant pour juge de leurs querelles intestines, ils reconnaissent en lui une sorte de coadjuteur de l’empire. Arbitre des princes allemands, il est aussi leur modèle. Rois, ducs, margraves imitent à l’envi ses institutions, si bien qu’en sauvant son pays, ce grand homme n’a pas moins servi l’Allemagne et l’humanité. Pour accomplir de telles choses sur un sol qu’avaient bouleversé si longtemps les hideuses fureurs du fanatisme, il avait pris son point d’appui dans la conscience nationale et la sienne propre ; cette base, ce roc, c’était le droit religieux établi par le concile universel. Un pape veut détruire cette charte sainte, le roi justicier la protège, et voyez l’originalité de son rôle : il n’agit pas en sectaire, mais en catholique ; il n’invoque pas la raison individuelle, il se rattache aux traditions de l’église ; il met le concile au-dessus du pape, sans nier l’autorité morale du saint-siège ; il proteste contre les usurpations des souverains pontifes sans attaquer le principe de l’unité ; au lieu d’un catholicisme qui va se rétrécissant et qui retranche du tronc antique les rameaux où circule la sève, il a le sentiment d’un catholicisme à qui l’esprit de Dieu communique une fécondité immortelle ; il combat en un mot l’absolutisme latin et lui oppose dans sa pensée l’immense république chrétienne, dont le successeur de saint Pierre n’est que le premier magistrat. Soutenu par cette foi, dont il ne sait pas se rendre compte, mais qui est pour nous la clé de ses contradictions apparentes, il lutte contre le souverain pontife avec une constance que ne souillent jamais ni l’opiniâtreté de l’orgueil ni les violences de la haine. Vigilant, actif, à la fois énergique et humain, songeant à la paix tout en faisant la guerre, il continue de veiller sur l’état au milieu des horreurs de la lutte, et garde sous les outrages de Rome sa sérénité royale et chrétienne. Il oblige enfin ses ennemis eux-mêmes à regretter les violences qu’ils ont commises ; quand les barbares que le pape a lancés sur ce royaume chrétien : reprennent en fuyant le chemin de leur contrée, les catholiques, honteux et repentans, ne peuvent retenir un cri de joie. N’y a-t-il pas une grandeur épique dans cette série d’épreuves et de victoires ? Plus l’homme est grand par le cœur, plus il est condamné à souffrir ici-bas ; n’y a-t-il pas une majesté religieuse dans les viriles souffrances du roi George ?

George de Podiebrad n’est pas moins grand au point de vue de