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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/216

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tard à l’Europe, soit en offrant d’échanger des bons du trésor contre des rentes sur cette confédération qui n’est encore qu’un projet. On a voté une taxe de guerre de 1/2 pour 100 sur tout capital supérieur à 2,500 fr. Je ne saurais dire jusqu’à quel point ces emprunts ont réussi. L’avenir est escompté au hasard, au moyen d’un papier-monnaie dont les coupures ont été abaissées jusqu’à 10 centimes, et ces assignats, n’étant jamais rapprochés de leur valeur métallique, sont destinés au dernier avilissement.

J’ai signalé plus haut le prodigieux accroissement de l’ancienne Union en population et en richesses pendant les dix dernières années ; mais quelle différence dans la marche progressive des deux groupes actuellement en lutte ! Dans les onze états du sud, la population, blancs et noirs compris, est augmentée de 1,826,000 âmes, soit 25 pour 100. Dans les vingt et un états unionistes, le progrès est de 6,252,000 âmes, ou 39 pour 100. La plus-value de la propriété territoriale dans la région fédérale est évaluée à 101 pour 100 ; elle n’est que de 67 pour 100 dans les pays esclavagistes. De ce côté, à vrai dire, c’est le prix de l’esclave, considéré comme instrument, qui détermine la valeur de la terre, de sorte que si la guerre civile amenait l’abolition de l’esclavage sans indemnité, la richesse immobilière des gens du sud s’évanouirait en grande partie. Pour le nord, les résultats des grands mouvemens financiers, c’est l’excessive mobilisation du capital déjà acquis : la guerre devient une excitation au’ travail, et sera peut-être une cause nouvelle d’enrichissement. Pour le sud, la guerre est la destruction de son capital. Il a pour tactique de ne pas vendre ses récoltes, c’est-à-dire de se priver de son revenu. S’il accumulait les cotons pour les expédier plus tard, il travaillerait à l’avilissement de sa marchandise. Aussi a-t-on déjà remplacé les cultures industriell.es par celles des vivres destinés aux armées. Le commerce est anéanti. Le nègre, la grande richesse, n’est plus même une marchandise cotée.

On ne sait rien de précis sur l’organisation des armées du sud : il est infiniment probable qu’elles ne sont pas payées, qu’elles se pourvoient par des réquisitions, qu’elles se recrutent par la terreur, qu’elles sont retenues par la forte résolution de quelques chefs. La résistance souvent victorieuse des états esclavagistes s’explique néanmoins. On en était arrivé dans ces pays à rêver un régime dans lequel l’esclavage, fondement de la société, s’étendrait sans aucun obstacle. Cet idéal est fort compromis des à présent. On n’espère plus sans doute diviser le nord pour le dominer. Un arrangement qui limiterait l’expansion de l’esclavage, ce serait la déchéance à long terme ; une défaite aboutissant à l’abolition, ce serait la ruine immédiate et absolue : avec une telle perspective, rien de plus naturel