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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/278

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nous trompions point sur la Syrie, à laquelle il profitait d’appartenir à Méhémet-Ali, qui savait la gouverner, l’administrer, la pacifier, au lieu d’appartenir au sultan, qui la livrait à l’anarchie. Sur ce point, il suffit de consulter les rapports des consuls anglais sur la condition des chrétiens en Turquie en 1861[1]. Les consuls anglais en Syrie n’hésitent pas à dire que pendant l’occupation égyptienne les chrétiens avaient plus de liberté et plus de bien-être qu’aujourd’hui. Sachons donc garder une mesure dans le facile repentir que nos fils en 1862 ont de l’engouement égyptien de leurs pères en 1840. Nous n’aimions pas en Méhémet-Ali le dictateur et le centralisateur ; nous aimions surtout celui qui, par la fermeté et par la tolérance de son administration, aidait à l’émancipation progressive des chrétiens d’Orient.

Ici je dois rendre justice à M. de Lamartine. Il combattait notre engouement égyptien de 1840 ; il avait vu l’Orient, et il savait que ce qu’on appelait alors la nationalité arabe était et est une chimère ; mais n’allons pas prétendre, trompés en cela par la faveur que M. de Lamartine a montrée à la Turquie depuis dix ans peut-être, n’allons pas prétendre qu’en 1840 M. de Lamartine fût l’un des défenseurs, l’un des garans de la force et de la durée de l’empire ottoman : C’est tout le contraire : M. de Lamartine ne croyait pas plus alors à la force de l’empire ottoman qu’à la force de l’empire égyptien. Que voulait donc M. de Lamartine ? Il voulait cette régénération de l’Orient par l’Orient, cette résurrection politique et sociale des populations chrétiennes de l’Orient, qui, depuis le traité de Paris, est devenue l’un des principes du droit européen, un principe seulement, hélas ! et non un fait. M. de Lamartine voulait en Orient ce système de renaissance chrétienne dont quelques personnes me font l’éditeur responsable, et je m’en honore, mais dont je ne suis que l’humble secrétaire, répétant depuis dix ans ce que la diplomatie française depuis cinquante ans, ce que M. Guizot et M. Thiers, ce que M. de Lamartine lui-même ont toujours voulu ; simple écho d’une doctrine qui a un grand avenir, et, comme écho encore, ravi de répéter ces belles paroles que prononçait M. de Lamartine le 12 janvier 1840 à la tribune de la chambre des députés : « Oui, heureuse l’heure où l’Orient s’écroulera plus complètement encore et laissera place à tant de populations opprimées, mais fortes et actives, que le poids du cadavre turc écrase, à la honte de la civilisation et des hommes, et où la France, leur tendant une main secourable entre les ambitions de la Russie et les susceptibilités de l’Angleterre, se placera entre ces deux puissances

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 juin, du 1er août, et du 15 septembre 1861.