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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/29

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langue ; le miracle de saint Janvier est universellement connu, et s’accomplit régulièrement deux fois par an ; l’adoration que ce saint inspire aux habitans de Naples est telle que le gouvernement italien même le respecte et le ménage comme une puissance politique.

Il est élémentaire d’admettre que la question de dogme et la question de culte doivent s’effacer devant la question de morale ; mais ici c’est tout le contraire qui a lieu. La question de morale n’est rien, à proprement parler, elle n’existe pas ; la question de dogme, résolue a priori, n’est jamais agitée ; tout est réservé pour la question de culte, question fort importante, puisque c’est d’elle que découlent les donations, les offrandes, les fondations, en un mot la richesse de l’église. Aussi on a toujours porté dans l’entretien du culte un soin particulier, et l’Italie méridionale est le pays des processions, des neuvaines, des promenades de saints, des expositions de reliques. Le clergé, qui sent instinctivement que le nouvel ordre de choses amènera forcément des modifications importantes qui ne pourront que diminuer l’influence excessive des prêtres, n’est naturellement pas porté d’amour vers le roi Victor-Emmanuel. Cependant il a été longtemps avant de prendre un parti définitif ; il a hésité, il est resté en expectative, très indifférent à la chute des Bourbons, se souciant au fond assez peu de la question romaine, et attendant, sans remuer, l’occasion de faire alliance avec le gouvernement constitutionnel, si ce dernier lui offrait des avantages, ou de le combattre, s’il devait l’amoindrir. Le décret signé à Turin le 13 octobre 1861, décret qui supprime les ordres monastiques, les abbayes, les bénéfices, a décidé la question. Tant qu’on n’avait touché qu’au spirituel, le clergé n’avait rien dit ; mais dès qu’on toucha au temporel par l’abolition des couvens, il s’indigna et déclara franchement la guerre au roi Victor-Emmanuel. Les prêtres des Deux-Siciles devinrent, les « innocens, » et le roi d’Italie fut « Hérode. » Quelle que soit cependant la mauvaise humeur du clergé en présence de ce qu’il appelle une spoliation, je ne crois pas cette mauvaise humeur très redoutable ; j’ai pu me convaincre, pendant mon récent séjour à Naples, que les mœurs cléricales étaient singulièrement modifiées : autrefois elles étaient pour ainsi dire agressives, elles sont devenues aujourd’hui fort douces, et semblent empreintes d’une certaine timidité. Jadis les moines quêteurs sillonnaient la ville et réclamaient souvent l’aumône avec quelque insolence ; maintenant ils deviennent de plus en plus rares, et paraissent s’éloigner intentionnellement de Naples pour aller mendier dans les villages voisins. On en rencontre encore, cela n’est point douteux ; mais leur attitude n’est plus la même : elle est à la fois plus réservée et plus digne.

De ce que le clergé est généralement hostile au roi Victor-Emmanuel, si l’on concluait qu’il est exclusivement attaché au système