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qu’il réfléchit et qu’il répercute. La nation venait d’en faire l’épreuve aux élections mêmes de 1846. Résolument conservatrices, celles-ci n’en préparèrent pas moins dans la majorité, par la division profonde des amis du gouvernement sur les questions à l’ordre du jour, un détraquement qui rendait inévitable un changement de personnes et de système.

La question des incompatibilités avait alors pour pendant celle de la réforme électorale, dont l’application n’aurait pas dans une élection générale déplacé vingt sièges au sein de la chambre, quoiqu’elle ait été assez puissante pour renverser la monarchie. L’adjonction de la liste dite des capacités à la liste électorale pouvait d’ailleurs se défendre par des raisons toujours périlleuses à mettre contre soi. Dans une nation aussi logique que la nôtre, il ne faut pas que le gouvernement paraisse en désaccord avec son propre principe, et ce principe pour la monarchie constitutionnelle, c’était l’admission des citoyens à l’exercice des droits politiques dans la mesure de leur aptitude légalement constatée. Il semblait donc peu rationnel de refuser aux hommes auxquels l’état attribue au prix de longues et dispendieuses épreuves le privilège des plus délicates fonctions le droit accordé à un mince propriétaire et souvent au plus ignare boutiquier ; c’était là un syllogisme que la royauté, mieux avisée, se serait gardée de livrer jamais à l’argumentation de passions aveugles ou ennemies. Il fallait faire enterrer ces questions-là par les hommes mêmes qui les avaient suscitées dans les chambres, et auxquels on pouvait pleinement s’en remettre pour en restreindre la portée sitôt que ce soin leur aurait été commis par la couronne.

L’Angleterre a consacré plus d’un siècle à relever par l’émancipation catholique sept millions d’hommes de l’ilotisme politique. Elle a pris cinquante ans pour transférer à Birmingham et à Manchester la franchise électorale dont avaient joui jusqu’alors quelques masures ignorées. Une génération s’est épuisée dans la lutte provoquée par le rappel des lois sur les céréales, qui touchait au pain quotidien de tout un peuple. En matière de réformes, Paris va plus vite en besogne : c’est au prix de sa ruine qu’il a infligé à la France une révolution sans exemple, afin de hâter de deux ou trois années l’expulsion de la chambre de quelques petits fonctionnaires, l’opposition ayant grand soin d’y maintenir tous les gros, dans la ferme confiance de les remplacer. Si humiliant que soit un pareil épisode dans l’histoire d’une nation spirituelle, les torts d’une bourgeoisie fantasque n’excusent ni n’expliquent ceux du pouvoir, car il appartient à celui-ci de s’inquiéter de tout, et plus encore de l’inattendu que du vraisemblable. Les hommes qui ont vaincu les grandes difficultés sont trop portés à croire qu’ils n’ont plus à compter avec les