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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/465

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que l’entrée de celui-ci aux affaires apparaîtrait comme l’avènement triomphal de cette réforme électorale transpercée depuis un an des traits de la plus sanglante ironie. Une pareille conclusion après un règne de dix-huit ans, c’était, pour le malheureux. prince, écrasé tout à coup par la fortune, qui l’avait si longtemps servi, la chute de son importance personnelle devant le monde et devant l’histoire ; c’était de plus dans sa pensée intime le renversement moral de la dynastie pour laquelle les acclamations de Paris avaient tenu lieu du droit historique et du droit populaire. Avant d’abdiquer la royauté sur la sommation de l’émeute, l’infortuné monarque avait abdiqué le gouvernement. Depuis vingt-quatre heures, sa présence aux Tuileries était moins une force qu’un obstacle, car, pour couvrir ses propres hésitations et ses secrets calculs, chacun affectait de douter de la parole du souverain, de sa résignation et même de son désespoir. Selon le vent qui souffle, selon le bruit qui monte, selon l’avis qu’apporte ou l’intrigue ou le dévouement, dans ce palais où tous parlent, où nul n’agit, où la faiblesse le dispute au vertige, la couronne est ballottée de la tête d’un vieillard à celle d’un enfant ; l’on passe de la régence du prince désigné par la loi à la régence improvisée d’une femme, et les uns entreprennent de conduire une courageuse mère dans la fournaise de l’Hôtel de Ville, tandis que les autres imaginent de l’entraîner au sépulcre du Palais-Bourbon, gardé par une armée entre les rangs de laquelle on laisse passer sans résistance quelques centaines de forcenés ! De gouvernement, il n’y en a ni pour Paris, ni pour la France, ni pour les chambres, ni pour l’armée. Nul ne saurait dire avec certitude s’il y eut des ministres et quels ils furent durant ces heures d’universelle impuissance, les plus humiliantes qu’ait infligées la Providence à l’orgueil d’une grande nation.

Au fond cependant, qu’avait, dans la matinée du 24 février, la situation de la monarchie de si désespéré ? Quel était au vrai l’état des choses ? Durant l’exercice facile de toutes les libertés et de tous les pouvoirs publics, il avait plu au peuple de Paris, pour un motif dont l’insignifiance touchait au ridicule, de déchaîner l’anarchie dans ses rues ; celle-ci était à la veille d’envahir la France, à peine émue jusqu’alors des bruits quotidiens qu’envoyaient les feuilles publiques à sa curiosité, et si peu sympathique à l’émeute triomphante que l’on aurait vu la nation se lever tout entière pour étouffer cette révolution dans son berceau, si elle avait pu soupçonner de quel nom s’appellerait bientôt la réforme. Le bon sens criait donc qu’en faisant payer à Paris le juste prix de cette faute-là, il fallait opposer le droit souverain de trente-cinq millions d’hommes au caprice momentané de quelques milliers de gardes nationaux dominés par les