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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/629

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sous toutes les latitudes du monde civilisé, mais je veux parler aussi du rôle singulier que l’usage a fini par attribuer à certaines annonces spéciales. Ainsi il est rare qu’un bon citoyen après son dîner n’ait pas, s’il le désire, à voter chaque soir dans quelque élection. Que son journal le tienne au courant à cet égard, rien de mieux; mais l’étonnement de l’Européen commencera lorsqu’un peu plus loin il verra aux annonces religieuses, entre des leçons de danse et des ventes à l’encan, le détail des sermons pour le dimanche prochain, avec l’indication des textes choisis par les prédicateurs. Une certaine méthode préside d’ailleurs à la répartition de ces avertissemens qui se comptent par centaines dans un seul numéro, et, pour trouver la catégorie dont on a besoin, il suffit de parcourir les en-tête, religious, personal, matrimonial, médical, financial, political, musical, hotels, astrology sport, turf, etc.[1]. Je n’ai pas la prétention de pousser l’énumération jusqu’au bout, mais un jour que les personal m’avaient paru plus explicites que d’ordinaire, j’interrogeai un vieil habitant de la ville sur ce que pouvaient avoir de réel ces amorces naïves de la flirtation américaine. Il me répondit en assignant dans le prochain numéro du New-York Herald un rendez-vous au jeune homme qui tel soir, à l’orchestre de tel théâtre, avait été remarqué par une dame vêtue d’une toilette imaginaire. A l’heure et au jour dits, plus de vingt honnêtes jeunes gens passaient sous nos fenêtres, portant le signe convenu d’une fleur à la boutonnière. Les salons d’hôtel, lieu neutre et banal, servent souvent de théâtres à ces intrigues, qui vont rarement plus loin que de purs enfantillages. Un jeune homme y cherche une dame, en voit une soigneusement voilée dans l’embrasure d’une fenêtre, s’approche d’elle et l’interroge. — « Monsieur, lui répond-elle tranquillement, j’attends bien quelqu’un; mais je suis ici pour les matrimonial, non pour les personal. »

Avec ses ridicules et ses défauts, ses violences et ses contradictions, j’ai dit que la presse américaine ne laissait pas que d’exercer

  1. Je me bornerai à reproduire deux de ces annonces, qui donneront une idée de l’étrangeté des autres. La première est un matrimonial : « Une jeune personne, fatiguée de la monotonie du célibat, désire entrer en correspondance avec un gentleman dans des vues de mariage. Il devra être en bonne position et avoir moins de trente-cinq ans. Quant à elle, son extérieur est agréable, ses manières tranquilles ; elle n’est ni sentimentale, ni romanesque, ni vaine, ni égoïste, et pourtant elle est loin d’être parfaite. » Le détail des qualités physiques est parfois poussé beaucoup plus loin, puisque j’ai vu spécifier jusqu’au poids de la future épouse. Voici maintenant un personal : « Si la dame au chapeau de velours noir, au voile de dentelle et au mantelet de drap brun qui est montée dans tel omnibus, tel jour, à telle heure et à tel endroit, désire connaître le gentleman qui était assis en face d’elle, elle n’a qu’à écrire un mot à l’adresse ci-dessous. »