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de lever un milliard sur les riches, et qu’un échappé de la Force prononçait de par le peuple de Paris la dissolution de la représentation nationale? Quel sentiment de colère et de haine ne durent pas rapporter au fond de leurs pacifiques provinces ces milliers de gardes nationaux accourus à Paris pour étouffer enfin à sa source l’anarchie qui menaçait de dévorer les dernières ressources de la France, lorsqu’ils trouvèrent la grande cité bouleversée par les barricades et par la mitraille, inondée du sang d’un saint pontife et de dix généraux! Quoi d’étonnant que dans la conscience des masses, incapables de s’associer aux calculs et aux sacrifices des hommes parlementaires, la seconde république ait succombé sous le baptême que lui imposait alors la fatalité des circonstances? Les événemens ont des dates morales souvent fort antérieures au temps où ils s’accomplissent. Si l’empire, à proprement parler, est sorti du coup d’état de 1851, il était fait dès le scrutin du 10 décembre, et ce scrutin lui-même avait été décidé aux fatales journées de juin, encore que le peuple n’eût pas arrêté la nom sous lequel s’exprimerait bientôt après son irrésistible pensée.

Ce n’était pas seulement par la lecture des journaux et des proclamations de toute sorte que les populations provinciales étaient initiées à ces détails lugubres. Les doctrines économiques qui prévalaient à Paris depuis février avaient eu dans tous les ateliers leur contre-coup nécessaire. L’on ne comptait guère de départemens où elles n’eussent engendré entre les patrons et les ouvriers, entre le capital et le prolétariat, pour employer les termes alors consacrés, ou des difficultés insolubles ou des collisions désastreuses. A Rouen, un commissaire de la république, donnant au décret du 3 mars ses conséquences naturelles, avait administrativement fixé le taux des salaires, et, une perturbation profonde ayant été l’effet immédiat d’un pareil acte, les travailleurs en étaient venus aux mains avec la garde nationale. Lyon allait avoir à traverser une épreuve plus sanglante encore; Limoges fut plusieurs jours au pouvoir de l’insurrection; Elbeuf, Bourg, Béziers, Guéret, Nîmes, Rodez, eurent à défendre par les armes des droits violemment contestés au nom de doctrines que ménageait parfois l’assemblée constituante elle-même, tant le trouble des intelligences était grand et le découragement des cœurs universel !

Aucune perspective ni féconde ni glorieuse ne venait d’ailleurs relever les âmes de l’accablement où les avaient jetées ces scènes cruelles, car, durant la première période de la constituante, l’état de siège était la seule réalité qu’eût encore enfantée la république. Tous les trônes, il est vrai, avaient un moment tremblé sous le tonnerre de février, et s’il y eût eu une virtualité véritable dans l’idée républicaine, c’en était fait assurément alors du système monarchi-