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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/662

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différentes. Tous les deux avaient éprouvé le désir de détourner des collisions aussi redoutables pour l’un que pour l’autre, et dont la probabilité n’avait dès le premier jour échappé à personne. Si bien assise qu’elle pût se croire en effet, la représentation nationale n’ignorait plus, depuis le 10 décembre, le prestige du nom de Napoléon, et d’un autre côté, si confiant qu’il pût être dans son étoile, si profondes que fussent déjà les pratiques de ses partisans dans le peuple et dans l’armée, le prince qui portait ce nom, et qui s’en couvrait comme d’un talisman, savait fort bien qu’en déchirant lui-même la constitution, pour passer de la présidence à l’empire, il courrait risque d’échanger un palais contre une prison. Des pouvoirs régulièrement prolongés auraient donc pu lui sembler préférables à une pareille perspective, car, pour les plus hardis parieurs, mieux vaut après tout avancer par étapes que s’exposer à se casser le cou. Il n’y a pour sauter par les fenêtres que les fous ou les prisonniers; malheureusement le refus de révision, provoqué par la scission de la majorité, fit du président un prisonnier dans le cercle de la constitution, prisonnier fort résolu à s’évader, et dès lors très difficile à garder. En lui concédant une portion du pouvoir, l’aurait-on détourné de courir après le tout, et ne se décida-t-il à employer la force que lorsqu’il n’attendit plus rien de la légalité? Les phases si diverses de sa conduite autorisent à le penser. Quoi qu’il en soit, devant des résultats à la fois désastreux et trop faciles à deviner, comment ne pas qualifier de déplorable l’imprévoyante conduite qui les a provoqués?

L’on poursuivit d’abord et de concert un autre but; mais des deux côtés l’on perdit patience sur le chemin. A peine installé à l’Elysée, le prince Louis-Napoléon avait suivi sans résistance dans la plus grande affaire du temps, qui était alors comme elle l’est encore aujourd’hui, l’affaire de Rome, la politique tracée par les ministres qu’il avait reçus des mains de la majorité à titre de surveillans plutôt qu’à titre de serviteurs. Les actes consommés en Italie en 1849 et 1850, à partir du siège de Rome jusqu’à la restauration complète du pouvoir pontifical, avaient constaté une déférence que rendait plus éclatante la pensée personnelle du prince, déjà très clairement formulée dans les instructions de M. de Lesseps et dans la lettre fameuse adressée au colonel Edgar Ney, son aide-de-camp. De son côté, malgré les nuages qui s’épaississaient à l’horizon, l’assemblée ne demeurait pas en reste de bons procédés. S’agissait-il de régler la situation financière du chef de l’état, elle assurait au président, à titre de frais de représentation, un état de maison qui laissait percer le prince sous le magistrat électif malgré les prescriptions très précises de la loi fondamentale. Louis-Napoléon voyageait-il, allait-il du nord au sud et de l’est à l’ouest, interrogeant les populations