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Est-ce le goût du public d’outre-mer qui se rattache surtout aux réalités de la vie ? Je n’affirme rien, mais toujours est-il que la plupart des peintres modernes, suivant en cela les traces de Gainsborough et de Wilkie, ont consacré leur pinceau à célébrer le poème du travail, les grandeurs et les misères du foyer domestique, les saintes joies de la famille, les traditions et les mœurs rustiques de la vieille Angleterre.

Je n’avais pas lieu de me plaindre de cette direction de l’art, car je venais surtout chercher dans la peinture de nos voisins un rayon de la vie anglaise. On est frappé à première vue du grand nombre d’enfans qui s’épanouissent de tous côtés, les uns avec l’éclat d’un printemps en fleur, les autres avec des grâces un peu rudes et des airs de gaucherie effarouchée, mais qui répandent bien tous sur la toile une lumière d’innocence. Quelquefois, comme dans les Enfans soufflant des bulles de savon dans un cimetière, de M. Harvey, cette joie du premier âge se détache sur un fond mélancolique et sur une idée profonde. Un des chefs de l’école moderne et l’un des plus brillans coloristes, M. W. Mulready, a illustré plus d’une page du roman de l’enfance et de la maternité ; je ne m’arrêterai qu’à l’Atelier et à la Cuisine du Charpentier, — un brave artisan, qui, ayant un instant quitté son ouvrage, vient contempler en souriant dans une chambre de derrière son nouveau-né, soutenu sur les genoux de la mère. Les affections de la famille à côté des devoirs du travail, les bras fatigués se reposant sur les joies du cœur, n’est-ce point là toute l’histoire de la vie de l’ouvrier anglais ? Ce trait de mœurs était trop caractéristique pour ne point fournir plus d’un épisode aux artistes contemporains. Dans son Retour du Travail, M. Hughes nous représente un autre ouvrier qui, rentrant à son cottage dépose sur le seuil son sac à outils pour embrasser le plus jeune de ses enfans en longue chemise de nuit. Ailleurs, dans la Maison et ses trésors, de M. Carrick, c’est un marin qui, revenu d’un voyage autour du monde, se penche avec enivrement sur deux marmots endormis, nés peut-être durant son absence. M. Webster, qui peint avec sentiment et avec délicatesse les incidens de ce qu’on appelle ici la vie humble, nous introduit le dimanche soir dans une chaumière où l’aïeul est en train de lire la Bible, tandis que la mère fait signe au petit enfant de se tenir tranquille, pour ne point troubler la sainteté des devoirs religieux. Dans ce tableau, comme dans les Grâces (la prière avant le repas), se dégagent les deux sentimens qui parfument en Angleterre les intérieurs pauvres, l’amour des bambins et Dieu présent dans la maison. Quand ils quittent le coin du feu, les peintres britanniques vous conduisent volontiers, comme M. Frith, dans les endroits de divertissemens publics, par