Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne vint point, parce que de sa position de Norfolk, à l’état de menace constante, il obtenait à cette heure, sans risques, deux résultats d’une égale importance : d’abord il paralysait à Hampton-Roads les forces navales réunies pour concourir avec l’armée de terre à l’attaque de York-Town ; en second lieu, et c’était là l’objet capital, il privait l’armée fédérale de tous les avantages que la possession du James-River lui aurait assurés pour une campagne dont Richmond était la base.

Sans doute, si le Merrimac fût descendu à Hampton-Roads, et qu’il y eût détruit la flotte qui y était réunie, il eût obtenu un immense résultat ; mais toutes les chances n’eussent pas été en sa faveur dans cette entreprise. Le Merrimac aurait d’abord retrouvé devant lui le Monitor. Seul à seul, il ne le craignait pas ; l’artillerie du Monitor avait été impuissante contre son armure, elle le serait encore ; mais si le Merrimac n’avait pas réussi dans la première rencontre à couler le Monitor en l’abordant, il avait pris ses mesures pour être plus heureux une autre fois. Le moyen était un éperon sous-marin, en fer forgé, de dix pieds de long, avec lequel il aurait infailliblement atteint en dessous de son couvercle les œuvres vives du Monitor. Or celui-ci, à fleur d’eau et sans cloisons étanches, coulait dès que l’eau eût commencé à le pénétrer. Au Monitor toutefois se seraient joints, dans cette nouvelle lutte, de nouveaux auxiliaires. Lors de sa première sortie, en le voyant invulnérable à l’artillerie, se faisant comme un jeu d’enfoncer la muraille du Cumberland, et de couler ce malheureux vaisseau, on en était venu aussitôt à penser qu’à défaut de navires de même construction et de même force à lui opposer, le meilleur moyen de le combattre était d’employer de grands bâtimens, à la marche rapide, qu’on réunirait au nombre de cinq ou six, et qu’on lancerait contre lui dès qu’il paraîtrait. Une fois les machines de ces navires en mouvement, il ne fallait que cinq ou six hommes résolus pour les conduire. On avait les navires et on avait aussi les hommes. Si le Merrimac eût paru, ils se fussent précipités sur lui avec des vitesses doubles de la sienne. L’un d’eux au moins eût réussi à le frapper par le travers, et il l’eût coulé infailliblement, car sa cuirasse n’était pas une protection contre un choc de cette nature, ou bien à l’aborder par l’arrière et à lui déranger son hélice, auquel cas le Monitor eût eu beau jeu. D’autres précautions de détail avaient été prises : un réseau de cordages sous-marins avait été tendu à l’embouchure de l’Elizabeth-River, et il n’aurait pas manqué très probablement de s’entortiller autour de l’hélice du Merrimac et de paralyser ses mouvemens. Tout cela combiné, mais surtout les cinq ou six grands navires toujours sous vapeur, toujours l’œil au guet, semblables à une meute qui