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brassât non-seulement le cours de la rivière, mais toute la vallée. De cette façon on n’avait plus rien à craindre des inondations ; mais un tel travail demandait beaucoup de temps et d’efforts. Tant qu’il resta inachevé, l’aile gauche demeurait toujours exposée à l’attaque de toute la masse des forces confédérées ; aussi se hâta-t-on, pour parer autant que possible à ce danger, de se retrancher fortement sur toute la ligne. Ce fut une besogne immense. Comme partout ailleurs, il fallait élever des redoutes avec des épaulemens, creuser des rifle pits, et cela sous les ardeurs d’un soleil brûlant ; il fallait de plus abattre les bois sur tout l’espace occupé par ces ouvrages et à quelque cent mètres en avant, afin de voir un peu devant soi. En quelques endroits on n’élevait aucune construction en terre, on se bornait à découper la forêt de manière à lui donner le contour de fortifications régulières. Une portion de bois plus fournie que les autres, laissée debout et s’avançant en saillie au milieu d’un vaste abatis, jouait le rôle d’un bastion. L’artillerie et les tirailleurs placés dans ce bois flanquaient de leurs feux les lisières droites qui simulaient des courtines. Seulement les défenseurs de ces ouvrages d’un nouveau genre n’avaient d’autre protection contre le feu de l’ennemi que l’abri de feuillage derrière lequel ils ne pouvaient être ajustés directement.

Tous ces travaux se faisaient avec une énergie et une intelligence admirables. Sous ce rapport, le soldat américain est sans rival : dur à la fatigue, rempli de ressources, excellent terrassier, excellent bûcheron, bon charpentier et même un peu ingénieur civil. Il est arrivé plusieurs fois dans le cours de la campagne de rencontrer un moulin à farine ou à scier mû par une roue hydraulique ou une machine à vapeur que l’ennemi, en se retirant, avait mise hors de service. On trouvait à l’instant, dans le premier régiment venu, des hommes capables de les réparer, de les reconstruire et de les remettre en mouvement pour les besoins de l’armée. Mais ce qui était surtout remarquable, c’était de voir une corvée se mettre à l’œuvre dans la forêt pour y faire ce qu’on appelle en langue militaire des abatis. On ne saurait se figurer la célérité avec laquelle s’accomplissait cette besogne. Je me souviens de quarante hectares de futaie séculaire de chênes et autres bois durs mis à terre en une seule journée par un seul bataillon. Tous ces travaux pourtant ne se faisaient pas sans beaucoup de fatigue matérielle et morale, par suite d’une activité sans repos sous un feu incessant.

Dans ces forêts immenses dépourvues de routes, où l’on est à chaque instant exposé à des attaques imprévues, on ne peut hasarder au loin ses avant-postes : ce serait leur faire courir la chance continuelle d’être surpris et enlevés. On forme alors ce qu’on appelle en Amérique