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paysage que le rôle d’une fabrique pittoresquement placée ; enfin, au sud-ouest, la Torre di Guardia, construction ronde, dont il ne reste plus que l’enveloppe lézardée et tremblant au souffle des orages. C’est là qu’était suspendue la cloche d’alarme, qu’on sonnait à toutes volées quand on voyait approcher les pirates. Il en existait de semblables sur presque toutes les côtes d’Italie depuis qu’en 1588 une bande de musulmans, se jetant inopinément sur l’ancien cap Minerve, qui sépare le golfe de Salerne du golfe de Naples, avait enlevé dans les villes de Massa, de Sorrento et aux environs sept mille individus qu’ils emmenèrent sur leurs chebecks. On éleva une tour garnie d’une cloche au lieu même où les Barbaresques avaient débarqué, et le cap prit dès lors le nom de cap Campanella, qu’il conserve encore aujourd’hui.

Dans l’île entière de Capri, il n’y a donc que deux villes : l’une est à l’est, l’autre s’étend vers le soleil couchant. Chacune d’elles a son territoire bien distinct; nulle contestation n’est possible à ce sujet quand les terrains de culture sont séparés par des abîmes ; les deux villes ont de rares rapports de commerce, et ne se rencontrent guère que sur le rivage neutre de la Marine. On pourrait croire qu’elles vivent en bonne intelligence, ainsi que deux jumelles sorties de la même mère. Hélas! il n’en est rien : je ne sais quel souffle de discorde a passé sur elles, mais elles se haïssent profondément et ne perdent point une occasion de se témoigner leur haine. A la mer, les pêcheurs s’injurient quand ils se rencontrent; à l’époque de la passe des cailles, ils vont mutuellement se lacérer leurs filets; il est rare qu’entre eux il y ait des mariages; chaque ville a son saint particulier et se moque du saint de sa voisine ; quand les Capriotes montent à Anacapri, ils crachent sur la chapelle de Saint-Antoine-de-Padoue; lorsque les Anacapriotes descendent à Capri, ils rendent la pareille à l’église de San-Costanzo; souvent on se jette des pierres quand on se rencontre, et les enfans des deux villes se prennent volontiers aux cheveux comme de petits Capulets et de petits Montaigus. Dans la vie des hommes et dans la vie des cités, ces haines impies ne sont pas rares. Ugo Foscolo a dit : « Une haine éternelle, une haine de frères. » Et n’est-ce point Tacite qui a écrit : Et solita fratribus odia ?

Un exemple montrera jusqu’où va cette animosité. J’ai dit que l’île, n’ayant point une production de céréales en rapport avec sa consommation, est obligée de tirer de la terre ferme la farine qui lui fait défaut; néanmoins, en prévision de guerre possible, il existe une réserve de blé suffisante pour nourrir les habitans pendant six semaines. Cette réserve est située à Anacapri, c’est-à-dire au point le moins accessible de l’île, et l’on ne doit y toucher que dans les cas extrêmes. En 1836, le mois de mars fut si plein de tempêtes