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ces îles « dans leurs robes de brume, rayées de bandes brunes et pourprées, » toutes ces beautés imposantes ou sereines, il en avait joui et parfois souffert, et c’est pour cela que nous les voyons à travers ses vers. Quelque objet qu’il touchât, il le faisait palpiter et vivre; c’est qu’en le regardant il avait palpité et vécu. Lui-même, un peu plus tard, laissant le masque d’Harold, reprenait son récit en son propre nom, et qui n’eût été touché d’aveux si passionnés et si entiers?


«Oui, il faut que je pense moins violemment; j’ai pensé — trop longtemps et lugubrement, jusqu’à ce que mon cerveau, — bouillonnant et épuisé par son propre tourbillon, — soit devenu un gouffre tournant de rêves et de flamme. — Voilà comment, n’ayant point appris tout jeune à dompter mon cœur, — les sources de ma vie ont été empoisonnées. Il est trop tard! — Pourtant je suis changé, quoique toujours le même — en force pour endurer ce que le temps ne peut amoindrir, — et pour me nourrir de fruits amers, sans accuser la destinée...

« Harold s’était bientôt reconnu le plus impropre des hommes — à vivre dans le troupeau des hommes. Il était — trop différent, incapable de plier ses pensées — à celles des autres, quoique son âme eût été foulée — dans sa jeunesse par ses propres pensées ; toujours retranché dans son indépendance, — refusant de livrer le gouvernement de son esprit — à des âmes contre lesquelles la sienne se révoltait, — fier jusque dans un désespoir qui savait trouver — une vie en lui-même, et respirer en dehors de l’humanité!...

« Comme le Chaldéen, il tenait ses yeux fixés sur les étoiles, — jusqu’à ce qu’il les eût peuplées d’êtres aussi brillans — que leurs propres rayons, et que la terre, avec les vases humains tirés de sa boue, — et les fragilités humaines fussent oubliées toutes. — S’il avait pu maintenir son âme dans cet essor, — il eût été heureux; mais notre argile s’appesantit — sur son étincelle divine, enviant à l’homme la lumière — vers laquelle il monte, comme pour briser le lien qui — nous retient loin du ciel, du ciel qui là-haut nous ouvre ses plages.

« Cependant, dans les demeures de l’homme, il était devenu une créature — anxieuse et harassée, sombre et déplaisante, — languissant comme un faucon sauvage dont l’aile est coupée, — pour qui l’air sans bornes serait la seule patrie. — Alors son accès lui revenait, et pour le dompter, — aussi ardemment que l’oiseau emprisonné heurte — sa poitrine et son bec contre le treillage de fer — jusqu’à ce que le sang teigne son plumage; — ainsi la chaleur de son âme captive allait dévorant le sang de son cœur. »


Voilà les sentimens avec lesquels il parcourait la nature et l’histoire, non pour les comprendre en s’oubliant devant elles, mais pour y chercher ou y imprimer l’image de ses propres passions. Il ne laisse pas parler les objets, il les force à lui répondre. Au milieu de leur paix, il n’est occupé que de son trouble. Il les monte au ton de son âme, et les force à répéter ses propres cris. Tout est tendu