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rent à Angora en litière au bout de quelques jours, et c’est de leur bouche que nous avons recueilli ces détails. Le pacha a tout appris; mais, sous prétexte que l’attaque avait eu lieu à la limite de son département, et que les voleurs appartenaient probablement au département voisin, il n’a pas envoyé un zaptié à leur poursuite. Aussi l’on recommencera demain.

Cet accident faisait encore l’entretien de toute la ville, quand nous eûmes à ce sujet une conversation avec Cani-Bey, le président du medjilis. Comme presque tous les Turcs en place, c’est un homme fort peu respectable; sa réputation est bien établie à Angora, et je ne crois pas que la voix populaire lui fasse injure, mais c’est certainement un esprit juste et vif. « Si le gouvernement le voulait bien, nous dit-il, le brigandage serait bientôt détruit. Il faudrait que les paysans fussent autorisés à courir sus aux brigands et à les traquer comme des loups, que les zaptiés ne leur fissent point de quartier, enfin que les voyageurs fussent bien avertis qu’en résistant quand on les attaque ils ne risquent pas d’être inquiétés ensuite par l’autorité. Il faudrait enfin qu’on pendit haut et court tous les malfaiteurs qu’on prendrait. Qu’arrive-t-il au contraire maintenant? Nos lois semblent toutes faites pour protéger les mauvais sujets; leur apparente douceur n’est que faiblesse. Celui qui est attaqué, si, en se défendant, il tue un voleur, peut être poursuivi en justice par les parens ou les compagnons du brigand. — Etes-vous bien sûr, dira-t-on, que le pauvre homme en voulût à votre vie? Vous vous êtes trop hâté. — On conclura en vous condamnant à quelque grosse amende. Si le meurtrier est un raïa, et que le voleur soit musulman, il n’y a pas de doute à cet égard. Le volé fùt-il même un Turc, l’affaire peut encore mal tourner. Je connais un Turc de Castambol qui a tué un de ces voleurs au moment où il emmenait son esclave; les parens du mort ont été se plaindre à Constantinople, et maintenant celui qui n’a pas voulu se laisser dépouiller est en prison, et il lui en coûtera cher pour en sortir. On reproche aux paysans et aux zaptiés de ménager les brigands; mais qu’on permette aux paysans, si des voleurs se présentent dans le village pour demander, comme ils le font souvent, un mouton, du pain et de la poudre, de prendre leurs fourches et de les tuer sur place; qu’on permette au zaptié, quand il conduit un voleur en prison et que celui-ci ne veut pas marcher, de lui brûler la cervelle. Aujourd’hui le zaptié a peur de faire mal à son prisonnier; aussi, dernièrement, un de ces gendarmes amenant d’Aiasch un voleur qui, je ne sais comment, avait eu la maladresse de se laisser prendre, le prisonnier a sauté sur son gardien au milieu de la route, a engagé une lutte avec lui, l’a terrassé, lui a pris ses armes et son