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sentir. On fut obligé de réduire à la moitié, puis au tiers, la mesure de blé distribuée au peuple; le peuple se souleva, pilla les maisons des riches, et massacra le préfet, nommé Hilarius. Ce remède re guérit point le mal; la famine ne fit que s’accroître sous l’administration de son successeur Pompéianus. Des maladies contagieuses, qui ne tardèrent pas à éclater, portèrent la désolation au comble. Dans ces tristes circonstances, deux femmes honorées jadis du diadème des Augustes, Læta, veuve de l’empereur Gratien, et Pissaména, sa mère, donnèrent un exemple de charité chrétienne que les païens eux-mêmes ont enregistré avec éloge : elles transformèrent leur palais en un hôpital où les pauvres venaient chaque jour recevoir leur nourriture. Elles trouvèrent cette noble façon de dépenser la dotation que le fisc impérial leur avait assignée pour leur table.

Chaque heure qui s’écoulait amenait de nouvelles souffrances, et le préfet de Rome commençait à désespérer quand des hommes, originaires d’Étrurie et refoulés dans la ville par l’approche des Goths, se présentèrent a lui, offrant de lui faire connaître un moyen de salut qu’ils regardaient comme infaillible. Les Toscans avaient de tout temps passé pour des aruspices et des magiciens habiles, et leur crédit ne faisait que grandir à mesure que le paganisme se perdait dans la thaumaturgie, et le culte païen dans la pratique des sciences occultes : Pompéianus devina donc aisément qu’il s’agissait d’opérations surnaturelles, et, quoique chrétien de profession, il admit ces hommes à s’expliquer et les écouta avec intérêt. Ils venaient lui proposer de faire tomber le feu du ciel sur le camp des Barbares, de manière à détruire ou disperser en quelques heures toute leur armée. « Nos moyens sont certains, lui dirent-ils, et nous les avons éprouvés tout récemment: c’est nous qui avons suscité cet orage furieux devant lequel les Goths se sont enfuis, lorsqu’ils faisaient le siège de Narnia. » Ils entrèrent alors dans le détail des rites d’après lesquels l’incantation devait se pratiquer aux termes des rituels sacrés. Pompéianus, frappé de leur assurance, consulta avec eux les livres des pontifes, et trouva que, pour donner à l’opération toute son efficacité, il devait faire célébrer certains sacrifices, accomplir certaines cérémonies solennelles au Capitole, au Forum et sur les principales places de la ville, en présence du sénat. Or ce caractère de sacrifice public réclamait le concours de l’assemblée entière : ici commençait la difficulté. D’abord les sacrifices païens et tout le cérémonial qui les entourait étaient interdits par les lois de l’empire, principalement par la loi récente qui plaçait son exécution sous la responsabilité des magistrats civils et sous la surveillance des évêques; en second lieu, le sénat n’était pas unanime dans la profession du culte païen : il comptait dans son sein une minorité chrétienne, ardente, riche, considérable par la naissance