Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/1013

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Gordon enfin. Anglais comme MM. Lay et Osborne, occupe on ce moment la place la plus en évidence de l’armée chinoise : il a sous ses ordres un corps de troupes composé de Chinois, d’émigrans de Manille, d’Européens et d’Américains, et connu sous le nom de corps du général Ward. Dans la guerre civile qui dévaste l’empire du milieu, ce corps a infligé des coups terribles à la rébellion, et a rendu des services signalés au gouvernement. Ce n’est pas encore tout : l’Angleterre, emportée par le désir manifeste de se rendre indispensable en Chine, ne s’est pas arrêtée là. On a permis à un grand nombre de marins, de sous-officiers et de soldats anglais, d’entrer au service du gouvernement chinois, qui les emploie, en les indemnisant largement de leurs peines, comme officiers instructeurs ou comme chefs de divers détachemens expéditionnaires contre les taï-pings''. Assurément la rébellion est un épouvantable fléau, et la suppression d’une guerre civile qui a fait couler des torrens de sang, qui a détruit de belles et populeuses cités, et qui a ruiné les plus riches provinces, serait regardée comme un inappréciable bienfait; mais il est au moins fort douteux que la cause impériale puisse jamais triompher de celle des taï-pings, et on ne peut guère admettre que l’Angleterre, dans la ligne de conduite politique qu’elle suit en Chine, soit guidée par des sentimens de pure philanthropie. La Russie, elle, ne s’y est pas trompée, car, afin de contre-balancer l’influence que l’Angleterre acquiert de jour en jour sur les affaires de l’Orient, elle a proposé à la cour de Pékin de mettre à sa disposition quelques milliers de cosaques, qui serviraient à arracher Nankin des mains des rebelles. Cette proposition, communiquée il y a plusieurs mois, n’a pas été acceptée, ou la mise à exécution en a été différée par suite d’événemens d’un intérêt plus grave; elle suffit cependant à démontrer que la vigilance du tsar n’est pas endormie, et qu’il s’opposera à toute tentative d’un établissement durable de la prépondérance anglaise dans l’extrême Orient.

La France, de son côté, n’a pas pu permettre que l’Angleterre et la Russie devinssent les seuls arbitres des destinées de la Chine; depuis la signature des traités de Pékin, elle n’a pas cessé de prêter un appui moral à la cause du gouvernement chinois, et à plusieurs reprises elle l’a secouru de ses armes. La mort du contre-amiral Protet, tué dans une expédition contre les taï-pings, a été jusqu’à présent le fait le plus remarquable de l’intervention française; mais cette intervention ne s’est pas seulement produite d’une manière officielle. Des soldats, des officiers français, ont voulu partager la gloire douteuse et les bénéfices certains que leurs camarades anglais recueillaient au service de la cause impériale, plusieurs d’entre eux ont sollicité et obtenu des places lucratives dans l’armée, la marine et les douanes; ils ont bravement payé de leur personne, et ont dans mainte occasion prouvé la sincérité de leur dévouement Quelques-uns, deux brillans officiers entre autres, le capitaine Tardif et le lieutenant de vaisseau Lebreton, sont morts en combattant les ennemis de la dynastie mandchoue;