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un admirateur passionné du Tasse, et je visite avec joie des lieux qui ont été honorés par la présence d’un si grand homme.

Mais lui, redressant sa longue taille voûtée : — Une maison consacrée à Dieu n’a pu se sentir honorée par la présence d’un pécheur.

— Vous avez mille fois raison, lui répondis-je de bonne grâce, et j’ai dit une sottise. Soyez sûr que ce n’est ni la première ni la dernière…

Ma candeur le désarma. Aux yeux de certains hommes d’église, se confesser est plus méritoire que ne pas pécher. Fra Antonio se radoucit, se dépouilla de sa morgue ; nous ne tardâmes pas à devenir bons amis. Il offrit de me servir de cicérone, et me fît faire le tour de l’église en m’en détaillant toutes les richesses. Peu à peu il devint bavard, expansif. Les Romains le sont volontiers ; ils ne se taisent que par défiance ou par orgueil. Je m’aperçus bientôt que fra Antonio avait l’esprit vif, délié, mais que le cercle de ses idées était étrangement borné. Son univers était son couvent, et son histoire universelle datait du jour où il y a eu dans le monde des hiéronymites en robe fauve. Je ne laissais pas de l’écouter avec plaisir ; la nature, comme vous savez, m’a doué d’une curiosité infinie, et puis l’accent romain est si noble, il caresse si amoureusement l’oreille ! Ce brave homme me fit l’éloge de son ordre, et en m’en racontant les gloires ses narines se gonflaient d’orgueil, ses grands yeux noirs à fleur de tête pétillaient de joie. Il me dit les syndérèses, les macérations de saint Pierre de Pise, la discipline qu’il prescrivit à ses ermites, et comment plus tard le pape Pie V soumit la nouvelle congrégation à la règle augustinienne et lui communiqua tous les privilèges des ordres mendians. Ensuite il passa en revue tous les généraux des hiéronymites, tous les cardinaux titulaires de l’église Saint-Onuphre, et je fus confondu du nombre d’hommes de génie dont jusqu’à ce jour j’avais ignoré le nom. Enfin, passant à saint Onuphre lui-même : — Il n’est pas étonnant, me dit-il, que les frères mineurs et nous-mêmes ayons consacré plus d’un oratoire à ce grand saint d’Egypte. Vous savez la vie qu’il mena dans sa thébaïde, et que chaque jour un ange descendait du ciel pour lui apporter sa provende et le saint mystère d’eucharistie.

— J’ai lu je ne sais où, lui répondis-je, que, dans les Actes des saints, les bollandistes ont révoqué en doute ce beau miracle.

Fra Antonio rougit de colère. — Ne me parlez pas de ce livre ! Les révérends pères jésuites qui l’ont composé ont mérité les peines éternelles. Eh quoi ! ne nous donnent-ils pas à entendre que ni saint Onuphre ni son saint biographe Paphnuce n’ont existé ? Et quelles pitoyables plaisanteries sur les reliques de ce grand ermite ! Ils ont le front de s’égayer de ce qu’on les montre à deux endroits ! Comme