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vapeur qui ne peuvent à la vérité être comparés aux chefs-d’œuvre des constructions navales d’Europe et d’Amérique, mais qui démontrent cependant chez eux une grande aptitude à s’assimiler ce qu’ils veulent imiter des étrangers. C’est là un trait caractéristique et qui établit entre les Japonais et les Chinois une ligne de démarcation profonde. De loin, Akonoura, avec ses grands bâtimens surmontés de hautes cheminées en brique rouge, ressemble parfaitement à quelqu’une de nos grandes usines industrielles, et, sauf la physionomie et le langage de ses ouvriers, on pourrait s’y croire transporté, d’un coup de baguette magique, sous le ciel du Lancashire. Les Japonais ont fait de louables efforts pour se rapprocher de l’Europe, ce foyer de science et de lumières, et leurs progrès, depuis l’époque récente où ils ont ouvert des relations avec l’Occident, ont excité à juste titre notre étonnement et nos éloges. Durant une longue suite de siècles, ils avaient vécu dans un isolement presque absolu, inconnus et indifférens au reste du monde, s’obstinant à ne rien voir ni apprendre de ce qui se passait au-delà des limites de leur empire insulaire. Ils s’enfermaient chez eux dans un dédain superbe, et le vers célèbre :

…….. Penitus toto divisos orbe Britannos


s’appliquait à eux avec plus de justesse qu’aux farouches ancêtres de la nation anglaise. Aussi rien n’était en progrès : sciences, arts, industrie, politique, philosophie, tout demeurait stationnaire, tout paraissait frappé à jamais d’une stérilité fatale. Il a suffi pourtant d’un événement fort simple et inévitable, l’ouverture de ses ports, pour arracher le Japon à l’apparente immobilité où se consumaient ses forces. La présence des étrangers a stimulé son énergie, et en cherchant à les imiter il s’est soumis à la loi du progrès, dont il avait si longtemps bravé l’influence.

Race intelligente, vivace et fière, patiente surtout, les Japonais, ne se contentant pas d’admirer chez les autres ce qui leur manquait, se sont mis à l’œuvre : en l’espace de quatre années, ils ont formé une flottille de bâtimens de guerre, ils ont réorganisé leurs nombreuses troupes, qui vont être armées et disciplinées à l’européenne ; ils ont établi à Yédo un collège destiné à l’enseignement des langues et des sciences de l’Occident ; ils ont demandé aux Pays-Bas des médecins qui leur apprennent, dans des cours réguliers et assidûment suivis, l’art moderne de guérir. La science de la navigation, plus importante encore pour des insulaires, ils l’ont aussi apprise des Hollandais[1], et avec tant de profit que,

  1. M. van Kattendyk, aujourd’hui ministre de la marine à La Haye, a été pendant plusieurs années leur professeur. J’aime à citer encore les noms de M. de Siebold, du Dr Pompé et de M. l’abbé Mermet comme ceux d’hommes qui, par leur enseignement, ont rendu de grands et durables services à la nation japonaise.