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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/185

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qui me causa l’impression la plus pénible. Une vieille femme parut à l’entrée de la salle et prononça quelques mots; l’une des jeunes filles se leva aussitôt, mais avec la lenteur d’un automate. Il y avait dans cette manière de se mouvoir quelque chose d’inconscient, comme chez les animaux dressés qui exécutent, sur l’ordre de leur maître, certaines manœuvres dont ils ont l’habitude.

Nous franchîmes la porte voisine de la grille et traversâmes un couloir étroit et sombre, fermé aux deux extrémités, et qui donnait accès à une vaste salle exhaussée de quelques pieds au-dessus du sol. La prolongation du couloir par où nous étions entrés la partageait en deux moitiés inégales. A droite, nous vîmes une trentaine de personnes. C’étaient des enfans de huit à quatorze ans, des jeunes filles, et des femmes dont il était difficile de déterminer l’âge, puisque les Japonaises, dès qu’elles ont dépassé la trentaine, paraissent souvent beaucoup plus vieilles qu’elles ne le sont en réalité. C’est surtout à l’abus des bains très chauds, et pris fréquemment, qu’il faut attribuer cette vieillesse précoce. Quelques-unes des petites filles étaient déjà couchées et dormaient d’un profond sommeil, la tête appuyée sur un oreiller en bois rembourré. Celles qui étaient encore debout portaient, en l’honneur de la madzouri, leurs habits les plus riches. Femmes et jeunes filles se tenaient assises autour des braseros, mangeant et buvant, fumant et causant.

A notre arrivée, une vieille femme proprement vêtue vint à notre rencontre et nous demanda ce que nous désirions. L’officier notre guide répondit que nous voulions voir des danseuses et des chanteuses, et qu’il fallait nous préparer un bon repas dans le plus bel endroit de la maison. La vieille nous conduisit alors, à travers un jardin planté de beaux arbres, jusqu’à un pavillon, où elle alluma des lanternes de couleur et une douzaine de mauvaises bougies de cire végétale fichées sur des candélabres en fer. Le rez-de-chaussée du pavillon ne formait qu’une seule pièce; le premier étage, au contraire, se divisait en un grand nombre de chambres ou plutôt de cellules, séparées les unes des autres par des châssis tendus de papier. Les nattes qui couvraient le plancher étaient partout fort propres et de qualité supérieure, le papier des murailles était neuf; de fines sculptures en bois ornaient les piliers et les dessus de porte. En somme, le pavillon où nous étions formait une habitation japonaise fort agréable. La femme qui nous avait conduits, espèce de surveillante qu’on appelle o-bassan, s’éloigna après avoir reçu nos ordres. Bientôt elle revint, accompagnée de trois petites filles qui, comme elle-même, portaient des guéridons en bois noir verni, des coupes de la même matière, mais de couleurs différentes, des tasses et des bouteilles de porcelaine, enfin tous les ustensiles