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Poussin, ils se fussent comme lui rejetés dans l’étude exclusive du passé. C’en était fait alors de cette admirable Vie de saint Bruno et des Religieuses de Port-Royal.

Que résulta-t-il en effet du séjour prolongé de Poussin et de Claude Lorrain à Rome ? Un dédain profond et nullement dissimulé et de leur siècle et de leur pays. On eût fort étonné Poussin, peut-être l’eût-on blessé, en lui disant qu’il était dans ses œuvres Français presque autant que de naissance. Il ne le croyait assurément point. Il l’est heureusement très souvent par ses grandes qualités, ses défauts seuls sont italiens. Il est Français de la grande manière pour un artiste, par la nature même de son génie et à son insu, sans le vouloir. Mais si nous analysons l’œuvre de Lorrain, combien de fois, malgré toutes les magies de sa lumière, ne sera-t-on pas tenté de regretter son séjour en Italie, pour peu que l’on sente les beautés de la nature du nord, beautés moins sévères que celles de la terre italienne, mais plus pénétrantes et plus touchantes ! On se console difficilement de voir ainsi perdu au profit de l’Italie un talent si merveilleux, et l’on constate avec chagrin certaines pauvretés auxquelles, sous prétexte de noblesse, Claude Lorrain est parfois tenu d’avoir recours afin de meubler ses premiers plans. Devant ces fabriques, ces fûts de colonnes, on ne saurait toujours, en dépit de son admiration, se dissimuler que ce fut l’absence de sincérité qui lui fit trouver et fonder du premier coup dans quelques-unes de ses œuvres le style de convention. C’est Poussin qui engagea et maintint Claude Lorrain dans cette voie. Il en est ainsi pour Nicolas Poussin lui-même. Autant l’on s’incline avec admiration devant ses compositions religieuses, où le maintien de la tradition est une loi inséparable du genre, autant l’on admet parfois avec regret qu’il ait emprunté, pour rendre sa pensée, des formes et des symboles à l’antiquité. C’est une rare et admirable chose que cette vie nouvelle qu’il a donnée aux débris de l’art antique ; mais, sans nuire à sa gloire, on peut dire qu’il est plutôt un grand artiste malgré son système que par son système. On sent tout cela dans l’école française aujourd’hui, et il faut y faire attention, car, à côté de nullités vaniteuses et peu intéressantes, nous sommes témoins d’inquiétudes et de troubles assez touchans pour qu’il soit de notre devoir et du devoir de chacun de chercher où est le vrai, où est la voie de l’art moderne. Eh bien ! je ne crains pas de l’affirmer, le vrai n’est point dans la résurrection même complète de la renaissance ou de l’art grec. L’erreur de Poussin, la même que celle de bien des théoriciens de nos jours, c’est de l’avoir cherché dans l’un ou l’autre de ces deux sens.

Les Grecs, au siècle de Périclès, ont eu ce privilège de trouver en sculpture la formule exacte de leurs idées religieuses, de créer un