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pudique violette, et je suis si épris de ton doux visage que je ne rougis pas d’être dans les fers d’une servante. »


Che non disdegno signoria d’ancella.


Pour moi, j’estime que le Tasse aima successivement et peut-être en même temps Leonora, la belle camériste, Leonora Sanvitale, comtesse de Scandiano, Leonora d’Esté, Lucrezia d’Este, Lucrezia Bendidio, et plusieurs autres Leonora et Lucrezia que nous ne connaissons pas. J’affirme encore, avec le comte Mariano Alberti, qu’il faut inscrire dans la liste des conquêtes galantes du Tasse l’archiduchesse Barbara, seconde femme du duc Alphonse. Le grand poète, je suis fâché de le dire, était un véritable don Juan, et ses entreprises audacieuses lassèrent la patience de son padrone, qui les lui fit expier par une réclusion de sept années.

Neuvième tassiste. — Faire du Tasse un don Juan !… lui qui, au rapport du Manso, avait la langue aussi chaste que les oreilles ! lui qu’une turlupinade, un propos léger faisait rougir comme une jeune fille !

Dixième tassiste. — Disons plutôt, avec le Manso, avec Muratori et avec Tiraboschi, que le Tasse avait un penchant naturel à l’exaltation qui le prédisposait à la folie. Sans un grain de folie, est-on vraiment poète ? Ajoutons qu’il écrivait difficilement ; les efforts trop soutenus d’un opiniâtre labeur finirent par altérer sa santé et assombrir son imagination. Le duc Alphonse l’aimait et le fit enfermer à l’hôpital Sainte-Anne, non pour le punir (c’est une calomnie), mais pour le guérir.

Onzième tassiste. — Défions-nous, monsieur le baron, des bonnes intentions du duc Alphonse. Si le Manso l’a ménagé, c’est que le Manso était de ces hommes qui, en parlant aux princes, n’ont jamais une parole plus haute que l’autre. Quant à Muratori et à Tiraboschi, ils furent l’un et l’autre bibliothécaires des ducs de Modène, et les ducs de Modène étaient les héritiers collatéraux d’Alphonse II. Voilà ce qui explique bien des choses. Le fait est qu’Alphonse II n’était pas le meilleur des hommes : dans une lettre adressée au duc d’Urbin, le Tasse se plaint de ce que son padrone avait un penchant marqué à la malignità.

Douzième tassiste. — Monsieur le baron, ce texte est douteux : dans les meilleures éditions, on lit à la magnanimità. Et quand il faudrait lire malignità, qu’est-ce que cela prouverait ? Plaignons les princes qui ont l’imprudence de se brouiller avec la race irritable des écritoires !

Treizième tassiste. — Je ne sais pas si le Tasse aima les trois