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nécessité. Le mal est fait et ne pourra que s’étendre. Là, comme ailleurs, les lois plieront devant un besoin populaire, et il est certain que depuis plusieurs années il s’est formé à la cour de Pékin un parti de l’opium. Quelle source inépuisable pour l’impôt, et quel profit pour le fisc! Un jour ou l’autre, le poison sera taxé et vendu par toute la Chine sous la garantie du gouvernement. Trésor vide n’a point de morale. L’opium figurera honorablement au budget des recettes de l’empire chinois, et dès qu’il aura cessé d’être défendu et considéré comme une marchandise de contrebande, il perdra son originalité, il n’en sera plus question dans les récits des voyageurs.

De Quei-chow à Wan, la distance, de vingt lieues environ, fut franchie en trois jours. Le fleuve coule sur une largeur de 3 à 400 mètres. On ne rencontre plus de gorges, mais de temps à autre quelques rapides rendent encore la navigation difficile. L’expédition remarqua plusieurs mines de houille qui étaient en pleine exploitation, et aux approches de Wan elle rencontra de nombreux groupes de Chinois occupés à laver le sable du fleuve pour y chercher des parcelles d’or qui proviennent des montagnes du Thibet. Quant à présent, l’exploitation est à l’état rudimentaire ; c’est un simple lavage, qui occupe beaucoup de bras sans procurer de grands bénéfices; mais patience! la houille est tout près de là, l’Europe y sera bientôt, et les misérables ouvriers qui remuent la vase du Yang-tse-kiang seront remplacés par les forces ardentes de la vapeur : il suffit que l’existence des mines de houille et la présence de l’or aient été constatées. La science européenne se chargera de mettre en valeur ces deux élémens de richesses, dont les Chinois n’ont pas su tirer parti, et peut-être une nouvelle Californie sommeille-t-elle au fond de ces régions que nous n’avons point encore abordées.

Dès son arrivée à Wan, le 16 avril, l’expédition fut agréablement surprise par un message qui lui annonçait pour le lendemain la visite du commandant. en chef de l’armée de Ssé-tchouen, alors de passage dans la ville. C’était assurément un grand honneur et en même temps une bonne fortune pour les voyageurs, qui se voyaient ainsi élevés au rang de personnages officiels, traités d’égal à égal par les plus hauts mandarins. Aussi toute la jonque fut-elle en mouvement et presque en révolution pour s’apprêter à recevoir dignement l’illustre visiteur. Les Anglais tirèrent de leurs malles leurs plus brillans uniformes; les quatre Sycks de l’escorte furent armés sur le pied de guerre; la place de chacun fut marquée à l’avance, et l’on régla avec un soin puéril tous les détails du cérémonial à observer à l’égard du mandarin. Le matin, à l’heure dite, une musique