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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/344

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car ils ne connaissent pas les convenances, et l’on assure qu’ils sont très colères. C’est décidément une race inférieure. » Et pourquoi n’aurait-il pas tenu ce langage plutôt que d’admirer, comme le suppose si complaisamment M. Blakiston, la gymnastique militaire dont on lui donnait l’inutile et fatigant spectacle?

La plupart des Européens qui se rencontrent avec les Chinois ont un grand tort : ils se comportent avec eux comme s’ils avaient toujours affaire à des niais dont on peut se moquer impunément, et puis, quand ils racontent leurs aventures de voyage, ils s’imaginent être très plaisans et très spirituels en nous présentant des caricatures au lieu de portraits, et en donnant à tout, hommes et choses, une physionomie grotesque. Si l’on veut que les Chinois nous prennent au sérieux, il faut commencer par les traiter sérieusement et ne pas nous livrer devant eux à des espiègleries d’écoliers. D’un autre côté, si l’on a la prétention de donner à l’Europe une idée exacte de ce peuple avec lequel nous aurons désormais de fréquens rapports et que nous sommes de plus en plus intéressés à bien connaître, il convient de laisser là les vieilles plaisanteries qui ont fort innocemment égayé nos pères du temps que l’on croyait aux magots, et de voir dans les Chinois autre chose que des motifs de vaudeville. Les Chinois ne pensent pas comme nous, n’agissent pas comme nous; ce n’est pas une raison pour qu’ils soient ridicules, comme oh serait tenté de le supposer d’après les relations de la plupart des voyageurs, qui recherchent et inventent au besoin les détails comiques et veulent avoir trop d’esprit. J’accorde que ce général en chef de l’armée du Ssé-tchouen qui a daigné faire visite au capitaine Blakiston et à ses compagnons ne soit pas très fort sur la discipline; son cheval de bataille ou de parade consiste en une bonne litière; il manie plus volontiers l’éventail que le sabre quand il a trop chaud; il ne marche jamais sans avoir à sa portée un parasol; ses soldats s’éventent et fument dans les rangs : tout cela ne prouve pas précisément qu’il manque d’intelligence ni qu’il mérite les puériles moqueries d’un soldat syck ou même d’un officier anglais. Si bas que soit tombé le gouvernement chinois, il n’en est pas encore réduit à confier les plus importantes fonctions à des idiots. Il est donc bien entendu que M. Blakiston a voulu se donner le plaisir d’un petit intermède pour faire diversion aux ennuis et aux fatigues d’une longue navigation, et qu’il a eu l’intention d’amuser ses lecteurs : il a cru devoir mêler l’agréable à l’utile, c’est un bon sentiment; mais il vaut mieux nous en tenir à l’utile et reprendre sérieusement notre route sur ce grand et magnifique fleuve qui, à plus de trois cent-cinquante lieues de son embouchure, s’étend sur une largeur de 500 mètres, avec une profondeur de cinq à neuf brasses à l’époque des basses eaux! L’expédition;