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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/354

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La terreur régnait dans toute la contrée, terreur double, car elle n’était pas seulement inspirée par les rebelles : elle venait aussi de la présence des braves ou volontaires impériaux, qui, sous prétexte de combattre l’insurrection, mettaient la campagne au pillage et s’abattaient sans merci sur la malheureuse population qu’ils prétendaient protéger. C’est ainsi qu’à Su-chow les portes de la ville étaient fermées, non pas aux rebelles, qui n’avaient point encore paru, mais à deux bandes de braves qui étaient campées sous les remparts, et dont les habitans, y compris le préfet, ne voulaient à aucun prix. Ces bandes, ne pouvant s’en prendre à la ville, avaient dévasté les villages et les fermes des environs ; elles ne songeaient plus qu’à s’enlever réciproquement le butin, et, à la veille de quitter Su-chow, l’expédition assistait à la représentation plus bruyante que meurtrière d’un combat que les deux partis se livraient sur la rive du fleuve. — A Ping-shan, le spectacle fut plus pittoresque. La, ce furent bien les rebelles qui tentèrent contre la ville une attaque de nuit. Le combat, engagé à huit heures du soir, se prolongea presque jusqu’au jour. Les défenseurs de Ping-shan étaient postés sur les remparts, illuminés par des milliers de lanternes, chaque soldat ayant son fanal. C’est un usage adopté par les Chinois pour la défense des places. Le jour, la présence de chaque soldat est marquée par un petit drapeau, et la nuit par une lanterne. On assure, il est vrai, que très souvent les drapeaux flottent et les lanternes brillent pendant que les guerriers, retirés à une bonne distance, fument tranquillement leur pipe à l’abri des projectiles ; mais les assiégeans n’en sont pas moins intimidés par le grand déploiement de forces que semble annoncer cette profusion de lanternes et de drapeaux, derrière lesquels ils supposent autant de combattans, et l’on comprend qu’avec ce système les sièges peuvent durer des années, comme cela se voit en Chine. Pour en revenir au siège de Ping-shan, ce combat aux flambeaux ne laissait pas que d’être assez curieux pour les Anglais, qui n’avaient à y prendre aucune part. Les rebelles, en masses confuses, avançaient, reculaient aussitôt, revenaient faiblement à la charge, en ayant soin de ne pas se mettre à trop petite portée des remparts, et l’on suivait leurs manœuvres à la lueur des coups de fusil qui s’échangeaient avec une grande rapidité, mais sans beaucoup d’effet. En définitive, l’attaque fut repoussée, et pour cette nuit encore la cité de Ping-shan échappa aux Tou-fi; c’est ainsi que se nomment les rebelles du Sse-tchouen, qui n’ont aucun rapport avec la grande insurrection de Nankin, ni avec l’insurrection mahométane de la province de Yun-nan. Chaque province possède aujourd’hui son insurrection, c’est-à-dire ses bandes de pillards, auxquelles le gouvernement oppose d’autres pillards, les braves, qui défendent à leur façon la