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qui, malgré nous, blesse notre vanité, vient uniquement de ce que leur empire est assez vaste pour se suffire à lui-même et pour contenir dans son horizon la satisfaction de leurs idées et de leurs intérêts; mais quand nous allons à eux, est-ce qu’ils nous repoussent de parti-pris et se refusent, comme on le leur reproche si souvent, à accepter nos avances? Nullement. Les Chinois du Fo-kien et du Che-kiang ont laissé M. Fortune se promener à travers champs tant qu’il a voulu, et s’ils ont péché en quelque point envers cet infatigable botaniste, ce n’a été que par un excès de vénération, parce qu’ils le croyaient un peu fou en le voyant passer son temps à ramasser des herbes et à mettre des insectes en bouteille[1]. Quant à M. Blakiston, il vient de nous raconter lui-même comment il a été traité. Sauf l’incident qu’il appelle trop pompeusement le combat de Ping-shan, il a été sur toute sa route, dans la campagne comme dans les villes, reçu avec une bienveillance que la curiosité seule pouvait rendre quelquefois importune, et il semblerait même, d’après son récit, que les habitans de l’intérieur sont plus favorablement disposés pour nous que les habitans du littoral, en d’autres termes que les Chinois nous accueillent d’autant mieux qu’ils nous connaissent moins. Cela malheureusement s’explique trop bien par les procédés hautains et violens des Européens en résidence dans les ports. Il y a là de fâcheuses traditions, de mauvaises habitudes, dont il conviendra de se défaire quand on se trouvera en contact direct avec les populations de l’intérieur.

L’état présent de la Chine, l’anarchie qui y règne, l’insurrection, ou plutôt les insurrections qui la désolent depuis près de quinze ans, l’intervention européenne, même avec le caractère de l’alliance et de la protection, tous ces symptômes trahissent assez la faiblesse déplorable et probablement incurable du gouvernement. M. Blakiston ne s’est pas aventuré à écrire des considérations et des prédictions politiques à l’occasion de la crise où la Chine se débat. Ces graves questions sont étrangères à notre sujet. Quel que soit le dénoûment, que l’empire soit reconstitué, morcelé ou conquis, le Yang-tse-kiang n’en demeurera pas moins le roi des fleuves, arrosant au profit de tous l’une des plus riches vallées du monde, nous appelant, nous aussi, dans ses profondes eaux, et tout prêt à nous recevoir sur ses rives hospitalières. Les révolutions ne sauraient troubler un seul moment la majesté de son cours, ni barrer cette grande route, par laquelle l’Europe doit arriver définitivement au cœur de la Chine.


C. LAVOLLEE.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1858.