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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/425

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croit pas à la fin du monde. C’est au moins intéresser beaucoup de gens à son opinion. Le fait est que le Parfum de Rome était le livre le plus monotone et le plus ennuyeux de M. Veuillot avant les Satires, mais les Satires l’emportent visiblement.

M. Veuillot, dans sa vie de lettré, n’est point sans avoir eu quelques illusions sur le genre et le degré de ses aptitudes. Il a eu notamment l’illusion d’être un Joseph de Maistre, et peu s’en faut qu’il n’ait toujours pris pour une personnalité violente toute discussion sur l’éminent auteur du Pape. Il a de plus aujourd’hui l’illusion d’être un Gilbert ; il appelle Gilbert « mon frère ! » et il nous offre un bouquet de satires auxquelles il joint des épigrammes lestes, des rondeaux, des contes, des épitaphes, sans compter un poème babylonien. L’intention est honnête, mais le bouquet a déjà servi. Je ne veux pas dire seulement que nombre de ces vers ont déjà paru ailleurs dans un autre livre : il est très vrai en outre que de ces pièces les unes sont d’une qualité douteuse, d’une nouveauté plus suspecte encore ; les autres, nous les connaissons ; cent fois nous les avons lues en prose et en articles ; nous les avons lues dans les Libres Penseurs et aussi dans Çà et Là, dans le Parfum de Rome, en strophes non rhythmées ; nous les avons lues en brochures et en pamphlets. L’injure s’est métamorphosée et a pris un habit plus étriqué ; elle est la même, voilà son geste et son allure. Quelque bonne volonté qu’il déploie, si ardemment qu’il invoque Nicolas Boileau et Gilbert son « frère, » si amoureusement qu’il trace le portrait de la muse de la satire telle qu’il la comprend, — cette forte femme de trente à quarante ans, à l’œil de flamme, au corps robuste, au pied leste, à la main fine et « avec toutes ses dents, »

Correcte en ses habits comme en ses mœurs, peignée, Mais non point ficelée, encor moins renfrognée ;


si bien qu’il fasse en un mot, M. Veuillot peine visiblement au métier des vers. Il y a chez lui du Trissotin de bonne volonté qui ne demande pas mieux que d’ajouter une corde à son arc pour mieux lancer l’invective ; mais enfin c’est du Trissotin se complaisant en lui-même, se reposant dans le sentiment de sa double puissance de prosateur et de poète.. Cette puissance du poète est médiocre chez M. Veuillot, et point faite pour intimider comme il le croit. Au fond, sa nature est mal à l’aise dans le vers ; il cherche l’effet et se démène notablement sans atteindre au relief de la vive et forte ironie. Son trait est à la fois violent et indécis, prétentieux et vulgaire. Il est embarrassé de l’instrument qu’il manie, et qu’il ne sait pas plier au mouvement d’une inspiration réellement poétique.

Et cela est si vrai que, pour exciter la curiosité, l’auteur a besoin