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leur visage, leur idiome, tout annonce qu’ils descendent d’une race particulière, tout à fait différente de la race japonaise, et dont l’origine. inconnue jusqu’à ce jour, rattache cette population à quelque famille du continent asiatique. Ils sont en général petits, trapus, mal faits, mais d’une grande force. Leur front est large et proéminent, leurs yeux noirs et doux sont droits comme ceux des hommes d’Europe. Ils sont de couleur blanche, quoique de teint basané; mais une particularité caractéristique de leur physionomie, et qui contribue à leur donner un aspect sauvage, c’est le développement qu’ils laissent prendre à leur énorme chevelure : ils ont les cheveux abondans et touffus, la barbe épaisse, et souvent le corps tout hérissé de poils. Ce sont des êtres doux et bons, et, en les regardant de près, on démêle facilement sur leurs grosses figures barbues l’expression de leur caractère. Les femmes, que la nature n’a déjà pas trop bien traitées, semblent avoir pris plaisir à s’enlaidir encore en adoptant une mode qui rappelle celle des dents noircies chez les Japonaises : elles se peignent en bleu les contours de la bouche, depuis le nez jusqu’à la fossette de la lèvre inférieure. Le costume des Aïnos diffère peu de celui que porte le bas peuple au Japon : il se compose, pour les hommes, de pantalons collans et d’un ample vêtement retenu par une ceinture, et, pour les femmes, d’une ou de plusieurs robes longues, suivant la saison. On fabrique ces habillemens de la façon la plus grossière; il y en a qui sont simplement tressés de paille et d’algues marines. Les petits enfans ont un air vif et intelligent qui s’efface à mesure qu’ils avancent en âge. Tant qu’ils n’ont pas la force de marcher, on les porte à califourchon sur les hanches; si la traite est longue ou fatigante, on les place dans un filet rejeté en arrière et dont les deux bouts viennent s’attacher sur le front du porteur.

La langue des Aïnos n’a pas encore été, à ce que je crois, l’objet d’une étude spéciale en Europe, et on ne l’a rapprochée jusqu’à présent de nulle autre langue connue. Il est d’ailleurs bien difficile d’en fixer les termes, puisque ceux qui la parlent ne savent ni lire ni écrire et qu’ils ne possèdent aucun document littéraire[1]. Ils ont cependant gardé par tradition la mémoire de quelques grands poèmes, notés par des Japonais, et dans lesquels on célèbre fré-

  1. J’ai pu me procurer à Hakodadé un Dictionnaire de la langue des Aïnos (en japonais), par Jashiro-tsoné-notské, officier japonais (6 vol. petit in-8o, ensemble 600 pages), et je dois à un savant missionnaire, M. l’abbé Mermet, un extrait de la traduction qu’il a faite de cet ouvrage. Voici quelques mots de cette langue bizarre : chiné-ppou, un ; tso-ppou, deux; ré-ppou, trois; innés-ppou, quatre; askiné-ppou, cinq; rikita, le ciel; chirika, la terre; , l’eau; bekrets-housoup, le soleil; konnets-housoup, la lune; ki-mta, montagne; habo, mère; menoko, femme; hokou, mari; tekki, la main; kemma le pied, etc.