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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/62

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rêveurs funestes ou d’agitateurs intéressés. S’il ne faut pas se laisser gouverner par les ouvriers et les pauvres, il est bon de ne les pas traiter comme des enfans, car ce sont en tout cas des enfans terribles. En outre, avec le suffrage universel divisé, chaque minorité vaincue sur le terrain électoral n’aurait lieu d’en vouloir qu’à ses pareilles. Lorsqu’elle se trouverait opprimée dans son choix, elle ne se devrait plaindre que de confrères qui ont au fond les mêmes intérêts; ce serait une querelle de famille qui aurait peu de chances de s’envenimer.

Il est inutile d’ajouter que les représentans des intérêts divers pourraient être choisis dans toutes les situations, et que dans le choix des députés les règles seraient les mêmes que celles qui existent aujourd’hui. Les propriétaires adopteraient à leur gré pour représentant un astronome ou un général, et de même les ouvriers, les commerçans ou les lettrés choisiraient indistinctement pour député un publiciste, un propriétaire, un géomètre, un médecin, un avocat, ou tout autre. Si les artisans voulaient se faire représenter par l’un d’eux, on ne saurait les en empêcher; mais s’ils le faisaient exceptionnellement, par amour-propre de classe, ils ne gagneraient pas à voir leur cause défendue et plaidée, ainsi que les grandes questions politiques décidées par l’ignorance présomptueuse d’un des leurs, et, dans le cas où celui-ci serait assez instruit pour être à la hauteur de son mandat législatif, il n’y aurait plus lieu de le considérer comme un simple artisan. Il est probable que, dans l’hypothèse du suffrage divisé, les choix seraient à peu près semblables à ce qu’ils furent à d’autres époques; seulement la signification en serait différente. En outre, pour rendre pratique cette combinaison électorale, il serait indispensable de ne pas tomber dans une réaction exagérée contre l’administration et la puissance gouvernementale, qui ont aussi bien que le dernier d’entre nous leur droit de légitime défense. A charge de revanche, ne doit-on pas leur donner ce que les Anglais appellent fair play? D’après le principe développé par M. Stuart Mill[1], il y a certaines choses que le gouvernement, « l’exécutif, » peut seul bien faire : en revanche, il est un autre ordre d’affaires qui se font mieux sans lui; mais, pour que la représentation nationale offre une fidèle image du pays tel qu’il est, l’influence du pouvoir central, à laquelle nous sommes habitués, ne saurait se trouver absolument exclue des assemblées. Ne pourrait-on, comme en Angleterre, par quelque fiction admise et réglée, remettre à la nomination du gouvernement dans la chambre législative un certain nombre de sièges? Quelques personnes trouveront sans doute qu’il

  1. P. 108,109.