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dant des heures et pendant des journées, n’ayant nul souci en apparence de conclure ou de manquer une affaire. Leur théorie du négoce est extrêmement simple : vendre le plus cher possible. Un profit raisonnable ne leur suffit pas. Aussi exaspèrent-ils nos négocians, qui, pratiquant le commerce d’après des principes plus élevés et plus honnêtes, se plaignent à bon droit d’avoir affaire à des gens de mauvaise foi et sans intelligence. Ceci s’explique en partie par la position que les marchands occupent au sein de la société japonaise : ils appartiennent à la classe la plus infime, et on ne peut guère s’attendre à trouver chez eux les principes de probité, les vues larges et libérales dont le grand commerce occidental se fait gloire. Malgré ces difficultés et malgré les entraves que le gouvernement du taïkoun apporte au libre développement des relations entre ses sujets et les Européens, le commerce de Yokohama s’est rapidement accru, et aujourd’hui il est devenu considérable. Dans le courant d’une seule année, on a exporté de cette ville pour 60 millions de francs de soie, et avec les ressources incalculables dont dispose le Japon il est probable que ce chiffre ira encore en augmentant durant une longue suite d’années[1].

  1. Vingt et une provinces japonaises, faisant partie de l’île de Nippon, produisent de la soie. Elles sont situées entre 30 degrés et 41 degrés de latitude nord et 135-141 degrés de longitude est. La province la plus riche sous ce rapport est celle d’Ossio (36-41 degrés nord et 139-141 degrés est), qui couvre une superficie d’environ deux mille cinq cents milles carrés. La production totale des vingt et une provinces s’élève à près de 4,300,000 kilogrammes, chiffre qui est de plus du double de la production de la France, et qui égale ce que l’Italie et l’Espagne rapportent ensemble. Le principal entrepôt des soies est à Kioto, résidence du mikado; cette ville se trouve à une faible distance d’Osakka, grande ville de commerce qui, d’après les traités, devrait déjà être accessible aux étrangers, mais dont l’ouverture a été retardée de quelques années. Depuis la franchise du port de Yokohama (1859), le prix des soies a haussé de 100 pour 100, et la production totale a augmenté d’environ 25 pour 100. — Outre la soie, le Japon fournit au commerce étranger divers articles : thé, cuivre, algues marines, cire végétale, coton brut, camphre, charbon, fer, salpêtre, vert-de-gris, curiosités et porcelaines, huile, poissons secs, racines de ginseng, et autres comestibles. De tous ces produits, le thé seul mérite ici une mention particulière. Il est de bonne qualité et commence à être fort apprécié, surtout en Amérique; en Europe, on lui trouve trop de bouquet. L’importation est d’un intérêt moins général et moins direct que l’exportation. Les Japonais recherchent cependant certains produits de l’industrie anglaise, et ils ont acheté récemment aux Européens de grandes quantités de zinc. On leur a vendu aussi des armes à feu et plusieurs bateaux à vapeur; mais ces articles, auxquels on en pourrait ajouter d’autres d’une importance secondaire (montres, instrumens d’optique, livres, cartes géographiques, estampes), ne suffisent pas à établir la balance entre les deux branches du commerce. Il faut importer des sommes considérables d’argent monnayé pour acheter les soies et les thés qui du Japon sont embarqués pour les marchés de Londres, de Lyon et de New-York. Comme en Chine, c’est le dollar mexicain qui a cours sur le marché de Yokohama; mais les commerçans indigènes comptent par itzibous, petite monnaie d’urgent qui équivaut à un tiers de dollar, mais que, à cause d’un système d’échange très défectueux, on est forcé d’acquérir à un prix beaucoup plus élevé. Au lieu de recevoir 300 itzibous par 100 dollars, on en reçoit ordinairement de 210 à 240.