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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/648

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aimait à jouir de la vie, avait une antipathie naturelle pour l’inquisition ; il lui laissa néanmoins tous les pouvoirs dont Paul IV l’avait armée.

Ces papes observent toutes les règles de la plus exacte discipline ; ils célèbrent la messe chaque jour, disent leurs heures à genoux, dissertent sur le dogme, ne lisent plus que l’Évangile et saint Bernard. Leur exemple réforme tout autour d’eux ; les cardinaux rivalisent de sévérité dans leur vie et dans leurs opinions ; ceux qui ont conservé le goût de Platon s’en cachent comme d’une faiblesse, que dis-je ? comme d’un vice. La cour romaine est devenue irréprochable dans ses mœurs, et sans contredit c’est un grand bien ; seulement on y proscrit la philosophie à l’égal de la volupté, et les joies de la pensée à l’égal des désordres de la chair. Une gravité triste est le masque que devra désormais porter l’ambition ; c’est par l’austérité chagrine, c’est par l’orthodoxie étroite et farouche qu’on acquiert les dignités. On se surveille beaucoup soi-même, on surveille encore plus autrui ; dur pour ses propres passions, on a le droit d’être impitoyable pour celles des autres ; on se console des privations qu’on s’impose par le spectacle des auto-da-fé.

La réaction contre l’esprit de la renaissance se renforce de jour en jour ; tout ce qu’elle aimait est devenu suspect. Le Tasse a raconté assez plaisamment la déception d’un poète de son temps qui se rendit à Rome pour s’y produire, pour s’y faire admirer ; il ne trouva personne qui voulut l’entendre ; dans toutes les conversations, on disputait si la résidence des évêques est de droit divin, grande question débattue au concile de Trente. Après s’être morfondu, le pauvre poète s’enfuit à Naples : nouvelle déception ; les professeurs d’escrime y avaient supplanté les disciples d’Apollon dans la considération publique. Plus malheureux encore fut un ami du Tasse, Guarini, l’auteur du Pastor fido, cette délicieuse et innocente idylle ; député par les Ferrarais pour complimenter Paul V sur son avènement, il eut le chagrin de s’entendre dire publiquement par le cardinal Bellarmin qu’il avait fait plus de mal à l’église par son poème que Luther et Calvin par leurs hérésies. Les édifices antiques ne sont pas plus heureux que les poètes ; on les traite de monumens impies, monument impietatis. Sixte-Quint, s’il n’eût écouté que lui-même, aurait détruit de fond en comble tout ce qui restait de la Rome païenne ; il menaça de démolir le Capitole, si les bourgeois n’en faisaient disparaître le Jupiter tonnant et l’Apollon dont ils l’avaient décoré ; il fit grâce à Minerve à la condition qu’elle représenterait Rome chrétienne et échangerait sa lance contre une croix ; il lui répugnait de voir exposé au Vatican ce groupe de Laocoon qui avait inspiré de si beaux vers à Sadolet. Trajan et Marc-Aurèle